Dix ans après : la désillusion
Aïe, aïe, aïe... Mais qu'es-tu devenue petite Mante Religieuse ? Toi qui jadis avais pondu le méga chef-d’œuvre Time Tells No Lies — bien supérieur à tout ce que les excellents représentants de la NWOBHM que sont Iron Maiden, Angel Witch ou Diamond Head ont pu sortir durant toute leur carrière — te voilà désormais dépourvue d'âme. Qu'as-tu fait Praying Mantis ? Tu étais un groupe formidable prédestiné à figurer au panthéon musical des meilleurs artistes de tous les temps ; et là, tu joues la carte de la facilité en nous sortant un pot pourri hard FM totalement en deçà de tes capacités. Noooooon !
Bon d'accord, j'exagère un petit peu. Que les choses soient claires, non : ce second album de Praying Mantis n'est pas déplaisant. D'ailleurs, aucun album du groupe n'est farouchement mauvais à proprement parler. En tout cas, ce Predator In Disguise se laisse écouter. Il possède en effet deux ou trois petites surprises bien sympathiques ; mais franchement, quand on compare avec le premier album, il n'y a pas photo : Praying Mantis pouvait faire mieux, infiniment mieux ! Il faut dire qu'à l'époque, le groupe est dans une bien mauvaise posture puisqu'il a subi le terrible sort qui a touché la plupart des groupes de la NWOBHM, à savoir la rupture. Donc là, je vous passe les détails, mais Praying Mantis a eu droit à la totale : problème de line-up, management chaotique... OK, on n'en est pas encore au niveau des destins tragiques de tous ces groupes morts-nés comme Virtue, Traitors Gate ou Fireclown qui eux aussi pouvaient devenir de véritables légendes, mais il a tout de même fallu dix longues années avant que la Mante Religieuse sorte de sa tombe (bon il y a eu Stratus avant, mais j'en reparlerai). Et une décennie, c'est long et ça transforme un groupe. Au niveau des nouveaux venus, Dave Potts laisse ses baguettes à Bruce Bisland tandis que Steve Carroll est remplacé par le gratteux Dennis Stratton dont le principal fait de gloire est d'avoir officié en tant que guitariste sur le premier album d'Iron Maiden. Avec les deux frères Troy qui sont restés, ce nouveau line-up envoyait franchement la purée et promettait beaucoup de bonnes choses... mais bon ce n'est pas tellement cas.
Ah c'est sûr, ça change de Time Tells No Lies. Si le Praying Mantis de 1981 offrait une musique de qualité à mi-chemin entre le heavy d'un Iron Maiden et l'AOR d'un Magnum, le groupe de 1991 a quant à lui choisi une sonorité bien plus FM et moins bien passionnante. En fait, Praying Mantis a transité vers l'espèce de post-NWOBHM calibré pour les marchés américains qui avait déjà été initié avec le groupe Lionheart dans lequel Dennis Stratton était guitariste. Quand on prête une oreille à Predator In Disguise, on a parfois l'impression d'entendre une réminiscence de l'album Hot Tonight de Lionheart. Alors dans l'absolu ça ne me gène pas puisque j'aime beaucoup Hot Tonight. Et puis, quand les frères Troy avaient tenté de faire revivre Praying Mantis au milieu des années 80 en formant Stratus, on commençait déjà à percevoir un éventuel "tournant commercial" (sic) qui s'amorçait. Mais bon, voilà : l'AOR c'est une bonne chose quand tu t'appelles Magnum, Toto ou Foreigner, mais quand ça devient too much, ça le fait tout de suite moins...
Enfin je n'invente rien : écoutez juste This Time Girl par exemple. Le synthé omniprésent — alors que Time Tells No Lies l'usait avec parcimonie — et les refrains entêtants sur le trio amour, gloire et beauté, c'est vraiment le summum du kitsch. Pour Battle Royal, c'est pareil : cette tentative de complainte est tellement tachée par le style archétypique des 80's qu'elle en perd toute sa mélancolie alors que, jadis, le groupe nous offrait l'exceptionnelle ballade Lovers to the Grave. Et voilà, c'est la même chose pour la plupart des titres de cet album. L'aura FM est beaucoup trop présente, trop pesante. Can't See The Angels est même clairement taillé pour être un tube : il y a même un vidéoclip pour accompagner ce titre. Enfin bref, on aurait préféré que l'aspect AOR soit servi de façon plus subtile comme savent le faire des groupes comme Magnum ou Toto.
Après, tout n'est pas à foutre à la benne puisque Praying Mantis montre qu'il est toujours capable de sortir des pépites. La meilleure piste de l'album est clairement Time Slipping Away. C'est puissant et efficace sans pour autant tomber dans les gimmicks de l'arena rock indigeste. Et les chœurs dépotent carrément ! Autre titre intéressant, The Horn : une grosse powerballad instrumentale avec une montée en puissance constante. Après, dans le reste de l'album, on alterne entre le plaisant, le moins bon, le correct et le "sympa mais dispensable", à l'image de la chanson She's Hot dont l'aspect glam metal dénature complètement le reste du disque. Enfin cela dit, difficile de parler de rupture d'une quelconque cohésion puisque Predator In Disguise n'est en fin de compte qu'une sorte de patchwork de mélodies sans enchainements logiques nous narrant l'importance de l'amour du prochain ou je ne sais quelle nunucherie à l'eau de rose. Comme je le dis toujours : il ne manque plus que le filtre instagram rose et le Comic Sans Ms sur la pochette. Pochette qui est d'ailleurs vraiment somptueuse : merci Rodney Matthews !
Au final, Predator In Disguise n'est pas un mauvais album puisque si l'on n'est pas difficile, on l'écoutera sans broncher. C'est un peu le même cas de figure que Def Leppard en 84 : c'est programmé pour conquérir les radios américaines et les foules japonaises. D'ailleurs, Praying Mantis tournera beaucoup au Japon durant les années 90 — sans avoir le succès de Def Leppard malheureusement. Mais si Predator In Disguise reste malgré tout assez sympathique pour les esgourdes, on peut en revanche le qualifier d'album frustrant. Frustrant parce qu'il témoigne de la dégringolade d'un groupe qui aurait pu voir grand, immensément grand. Heureusement, Praying Mantis se rattrapera en 1998 avec l'excellent Forever In Time... et quid du futur album qui va sortir en 2015 ? Seul le temps nous le dira. Car comme disait le Mantis de la grande époque : "time has no meaning, time tells no lies".