Aujourd’hui je m’attaque à l’un des plus grands classiques du Rap français, "Première Consultation" de Doc Gynéco. Aujourd’hui le « Doc » est un artiste à controverses, il est consultant pour l’émission « Touche Pas à Mon Poste », un poste qui a tendance à beaucoup diviser chez ses plus grands fans. Un débat qui fit suite à des scandales déjà présents dans la carrière du rappeur et qui avaient déjà divisés nombres d’auditeurs notamment chez les passionnés de Rap français.
Cependant, à ses débuts Doc Gynéco gagna un vrai respect de ses pairs et des passionnés, en grande partie par la réussite de son tout premier album. "Première Consultation" sortira en 1996 et sera un vrai succès musicalement ainsi que commercialement ce qui n’était pas aussi simple que de nos jours. Et lors de cette critique je vais donc m’intéresser aux différents arguments qui vont marquer l’importance de cet album. Des arguments reconnus par le nombre, mais aussi des arguments d’avantages personnels, qui peuvent apporter une vision autre des grandes lignes connues.
Lors de la sortie de cet album Doc Gynéco vit à Paris et plus précisément à Porte de la Chapelle, quartier de Paris situé dans le 18ème. Quartier où émergera par le futur "Hugo TSR" et son « Fenêtre sur Rue ». Doc Gynéco sera alors l’un des premiers à dépeindre la vie de ce quartier en grande difficulté face à la pauvreté et l’émergence du crack. Une émergence qui s’intensifiera d’année en année pour connaître un véritable pic dans les années 2000. D’autres rappeurs comme la "Scred Connexion" auront cette volonté de décrire ce même quartier et cette même réalité. Mais la faculté folle de cet album est d’avoir mis aux yeux d’un public bien plus « vaste » les qualités du Rap qu’a pu le faire la Scred Connexion un peu plus tard. Car comme je l’ai dit plus tôt, cet album aura un certain succès commercial, en plus d’une vraie reconnaissance de la scène Rap. Un succès commercial qui reste cependant à nuancer par le contexte de l’époque.
Afin de sortir son premier album, celui qui nous intéresse. Doc Gynéco commença à se faire remarquer par ses relations. Il est en effet ami avec les membres du groupe Ministère A.M.E.R. et fera d’ailleurs une collab’ avec l’un d’eux dans ce premier album. Il baignera alors rapidement dans le milieu du Hip-Hop des années 90’s et aura alors lui-même des opportunités dans le Rap. Il aura notamment une opportunité sur l’un des titres du groupe Ministère A.M.E.R. pour la bande originale du célèbre film « La Haine » de Mathieu Kassovitz. Un titre source de nombreuses tensions à l’époque, amenant à de véritable débats sur la liberté d’expression dans le Rap. Non pas chez les passionnés et les artistes du mouvement. Mais des controverses très présentes chez le « grand public » et les pouvoirs étatiques. Un morceau qui se nomme « Sacrifice de Poulets » marquera l’une des premières apparitions du rappeur de Porte de la Chapelle dans les chœurs. C’est donc dans ces circonstances qu’il sortira par la suite son premier projet et qu’il défendra pour une première, sa carrière solo.
Lors de cette mise en perspective j’ai mis en avant le contexte dans lequel le Doc a enregistré son album, tout en donnant une opinion actuelle de l’artiste aux yeux du grand public. Une opinion aujourd’hui en partie négative du fait de nombreux scandales ayant éclatés dans sa carrière que ça soit chez les amateurs de Rap Français, mais aussi au sein d’un public plus large. Car aujourd’hui, l’artiste est une personnalité publique. Pas toujours pour son art mais parfois d'avantage pour ses excès. Même si son talent artistique a eu tendance à moins s’exprimer au fil de sa carrière pour différentes raisons. L’album « Première Consultation » est un classique du Rap français et à énormément contribué à la consolidation du mouvement en France. Nombreux sont ceux qui se moquent aujourd’hui de l’artiste mais cet apport innovant a été crucial et mérite une vraie reconnaissance à mes yeux ainsi qu’aux yeux d’autres fans.
Et même au sein de ce classique certaines prises de parties peuvent être sensibles ou sujettes à controverses par le coté à la fois provocateur de l’artiste, mais aussi par des prises de positions « contraire » au mouvement "puriste" du Rap français des 90’s. Ici, je vais d’avantage m’intéresser aux arguments qui font que cet album est aujourd’hui un symbole dans le milieu.
Tout d’abords par l’importance des productions musicales dans cet album, un choix totalement voulu par l’artiste. En effet, il choisira de partir enregistrer son album à Los Angeles avec l’aide de vrais instruments en se détachant peu à peu de la technique du sample. Donnant ainsi naissance à une véritable harmonie dans les compositions musicales de chaque morceau de l’album. De plus, étant à Los Angeles Bruno va faire le choix de s’inspirer du « G-Funk » de Californie, mouvement porté par des albums et des artistes californiens célèbres. On peut notamment penser au label Death Row où Dr Dre et Snoop Dogg ont déjà faits leurs premiers classiques avec des albums comme « The Chronic » ou « DoggyStyle ». Le rappeur français va alors énormément s’inspirer de ces sonorités funky pour son tout premier album. Et l’énergie d’un enregistrement à Los Angeles se ressent par l’harmonie des productions et les choix réalisés. Une inspiration « non-conforme » à une grande partie de la scène française de l'époque du fait que de nombreux rappeurs de l’hexagone s’inspiraient du milieu « East-Coast » dominé par le Rap New-Yorkais. On peut prendre le cas du label « Time Bomb » ou encore le groupe "IAM" qui feront même une collaboration avec des membres affiliés au Wu-Tang Clan. Cette inspiration de Doc Gynéco a alors un coté précurseur tout en possédant une volonté de qualité, très bien traduit par le nombre d’instruments, mais aussi par le personnage du rappeur. Un personnage là encore atypique dépeignant sa réalité nonchalante au travers de ses lyrics, donnant une magie certaine à ces productions évoquées peu de temps avant.
L’une des forces de ces lyrics se retrouve dans le quotidien du rappeur, un quotidien morose et blasé où l’on est rapidement plongé dans le morceau « Dans ma Rue ». Je dis plongé car le rappeur de Porte de la Chapelle à cette faculté de nous plonger dans son quartier, dans son quotidien. Un quartier aux inégalités sociales nombreuses, marqué peu à peu par l’inaction de Paris et par ses disparités. Sauf que dans ce morceau, le rappeur va nous plonger dans ce quotidien dur tout en gardant une légèreté folle. Une légèreté en grande partie dû à cette personnalité nonchalante de l’artiste. Ainsi que par le choix des sonorités de l’album et ses influences du G-Funk. En effet, nombreux artistes de la West Coast utilisaient cette inspiration du funk tout en dénonçant les nombreux problèmes sociaux graves que la ville de Los Angeles pouvait connaître, surtout après les émeutes de 92. Le rappeur du 18ème arrondissement va alors reprendre à la perfection ces inspirations tout en y adaptant son quotidien, son quartier et ses démons comme l’apparition soudaine du succès. Ainsi, cette souplesse est présente tout au long de l’album et donne une certaine magie à cette misère notamment dans ce morceau « Dans ma Rue (High for the Chronic)». Entre cannettes de 8.6 et seringues au sol, le rappeur nous plonge dans sa vie avant d’apporter un côté de plus en plus personnel à son premier album. Il va par exemple évoquer ses origines guadeloupéennes dans le morceau « Né ici », invitant à un mini voyage antillais de 5 minutes. Il y évoque aussi sa passion pour le football au travers du morceau « Passements de Jambes » avec des références multiples plaisant aux plus fins connaisseurs du ballon rond. Il évoquera aussi tout au long de l’œuvre son rapport à sa soudaine notoriété, toute l’hypocrisie qui en découle et les nombreux problèmes qu’elle cause et qui jouera beaucoup sur le futur de la carrière de l’artiste. Il fait aussi un feat avec Passi un de ses amis du groupe "Ministère A.M.E.R.", logiquement pour tout ce que cette relation a pu lui apporter. Il ira jusqu’à évoquer sa relation compliquée avec son père et ce qui en découle, ayant alors une véritable remise en question sur ses relations avec les femmes. Un thème très évoqué par l’artiste tout au long de l’album allant parfois dans les extrêmes. Cependant, il va remettre en cause ce rapport aux femmes en évoquant son passé compliqué avec son paternel. Non pas comme justification mais d’avantage pour tourner en ironie son propre comportement qui le torture comme il le répète dans la mélodie du titre « Tel Père, Tel fils ». Il ira jusqu’à une autodérision sur son comportement, apportant une véritable réflexion sur l’origine de son mal-être. Une autodérision qui aura aussi encore une fois comme sujet cette fameuse notoriété, ironisant énormément sur sa volonté de faire de la variété à contrario du Rap de l’époque.
Ainsi, dans cette critique il me paraissait important et évident de s’intéresser à ce qui fait de cet album un monument au panthéon du Rap français malgré le personnage à controverse que peut être l’artiste du 18ème arrondissement aujourd’hui. Il m’était important d'évoquer cette liberté artistique qu’il a voulu défendre dès son premier album dans la qualité des productions et des sonorités. Mais aussi par l’écriture du rappeur et son attitude nonchalante qui ira compléter cette légèreté des productions à l’inspiration californienne. Il me semblait alors logique d’évoquer l’importance qu’a pu avoir cet album dans l’histoire du mouvement, ainsi que l’importance qu’a pu avoir l’artiste. Cette importance des décisions artistiques du Doc doit être misent en avant surtout quand on connaît la réputation que peut avoir l’artiste aujourd’hui. Le public à tendance à vite oublier trop rapidement l’apport d’un artiste, même quand cet apport est considérable à un mouvement musical. Au profit de nombreuses controverses et scandales très souvent alimentés par la célébrité et tout ce qui en découle. Une célébrité qui a pu nuire à l’artiste certes, d’où l’importance de ne pas se cantonner à ces histoires hors musique. Mais plutôt à l’apport culturel que ce projet a amené et les inspirations qu’il aura sur le futur du mouvement. Un effet sur le futur qui se traduira vite par les sorties de 1998 qui sera l’une des meilleures années du Rap Français.