Petit bijoux électro/triphop/ambient
Je me permet de copier ici la critique des Inrocks écrite a la sortie de cet album fabuleux. Je ne comprend toujours pas pourquoi il est si peu connu et si peu noté. Je les ai vu le jouer en 1998 en Angleterre, ça reste pour moi un des concerts les plus marquants de toute ma vie. Et un album qui en influença tant d'autres. Une merveille!
"Gigantesque furia des sens, Prince Blimey impose la fièvre et la liberté de ton de Red Snapper, trio affranchi.
Dans la nouvelle scène dance anglaise qui doit finalement plus à Stockhausen qu’à Stock Aitken & Waterman , les jobards de Red Snapper peuvent tranquillement se pavaner dans leur cour des musiques incestueuses, au charme voluptueux. On y côtoie Coltrane dans les bras d’un DJ anglais, Morphine flirtant avec Mo’Wax, les Cocteau Twins accouplés à Alex Reece, le Velvet dans sa première rave. Ce trio, derrière sa formule sobre et minimaliste, apparaît aussi libre et virevoltant qu’un quartette de jazz, aussi vénéneux qu’un Lou Reed, aussi incisif qu’un groupe de hip-hop. De longues boucles harmoniques aux saveurs hâves et flamboyantes se lovent dans un rythme désarticulé, hachuré par d’hypnotiques thèmes atomisés. On écoute Red Snapper comme si on assistait à une jam-session où chaque musicien aurait oublié sa partition pour s’effacer dans la grande flamme enivrée et difforme de l’inconnu. Dub, jazz, rock, techno et drum’n'bass se brassent dans un groove charnel, qui refuse les scories des musiques répétitives. Jamais triste, cette musique naît du chaos et en conserve des séquelles d’impressions mutilées, de plaintes avortées, d’indicibles murmures qui s’évaporent dans un halo mélancolique. Des harmonies inquiétantes sont troublées par des sections de cuivres ou de cordes étrangères à toute pesanteur. Chaque titre permet d’affirmer l’éclatante maîtrise et l’éclectisme sûr de Red Snapper, aucune fioriture ne vient gâcher son ardeur. En pleine possession de son art, le groupe peut se permettre toutes les audaces sans craindre le naufrage. Big-band effréné, free-jazz minéral, trip-hop poisseux, psychédélisme éthéré en fait, tous les styles qui s’offrent aux débordements, à l’excès s’affirment dans le combustible Red Snapper. Issus de groupes de jazz, ces trois ludions déchaînés, un rien snobs, apportent une liberté et des ouvertures bienvenues dans un édifice dance-music qui commençait à sentir le renfermé, avec ses subdivisions autarciques et étriquées. L’usage de la contrebasse, d’une batterie cymbalière jazz, d’un saxophone, combinés avec un sampler et un séquenceur, prouve une fois de plus l’adéquation entre l’acoustique et l’électronique l’évolution technique des moyens de production permettant désormais d’illustrer sur une toile sonore les tréfonds de l’intériorité humaine. Une aura sacrée, presque religieuse émane de ce lyrisme sourd, caverneux, hanté, dans la même dimension que celui de To bring you my love de PJ Harvey, dans cette sombre sérénité majestueuse de la souffrance acceptée. Totalement décomplexés grâce à leur formation jazz, ces trois gigolos lunaires alternent fièvre et sensualité dans une alchimie orgiaque."