Le rap français vit ces dernières années de grands bouleversements. La trap importée des USA a fait son chemin et domine en grande partie le paysage musical du game. Néanmoins 2015 semble être une année à part. On assiste (jusqu’ici) à la l’émergence de nouvelles tendances. En effet avec la confirmation du nouveau statut de Jul ; l’explosion aux oreilles du grand public de Nekfeu ; le phénomène Gradur qui prend toujours plus d’ampleur où encore l’arrivée incessante de nouvelles têtes dans le milieu font véritablement de cette année 2015 une année particulière. Cependant, certaines choses ne changent pas. Booba est toujours le patron, chiffres de ventes ne riment pas (toujours) avec qualité et il faut chercher pour trouver un peu de singularité. C’est au carrefour de ces évènements qu’apparaît ce qui s’annonce comme la nouvelle merveille du rap français : PNL.
PNL (Peace & Lovés) est un groupe originaire de Corbeil-Essonnes (91) composé de deux frères, Ademo et N.O.S. et qui s’apprête à redéfinir les contours du game français. Le duo sort un premier effort intitulé QLF (Que La Famille) dans lequel on retrouve parfaitement le monde du groupe. En effet, dans ce skeud proche de la perfection (feat un cran dessous) on prend une gifle dès la première écoute. Le premier titre du projet “Je vis je visser”, en étant un des meilleurs du disque, et également une porte d’accès au monde PNL. On retrouve les blocs, la famille, la drogue, les femmes et l’argent. Mais PNL c’est plus que cela, PNL va au-delà de l’enrobage basique de ces thèmes par des rappeurs “normaux”. L’atout du groupe est au-dessus du lot à la fois sur le plan du fond que sur celui de la forme.
Formellement, l’emprunte musicale de PNL est immédiatement identifiable. Du vocodeur, des instrus un peu chill et un bon flow. Dans un titre solo intitulé “Mowgli”, Ademo dit : « Je suis pas un rappeur, sans vocodeur je suis claqué ». En plus de l’autodérision de cette phase on peut voir qu’elle est en quelque sorte emblématique du projet du groupe. Le chante et le vocodeur sont au coeur du projet. Il y a quelques années cela n’aurait pas été possible mais aujourd’hui, si le vocodeur est souvent (et à tord) décrié on le trouve chez PNL dans sa forme la plus parfaite. En effet, hormis Booba, personne ne semble savoir autant manier l’instrument.
La facilité avec laquelle le duo écrit est déconcertante et de cette facilité découle des refrains parfaitement calibrés pour nous rester dans le crâne toute une journée (”J’suis PNL”, “Le monde ou rien” etc). À cela s’ajoute des gimmicks imparables comme le désormais fameux “Ounga ounga”. Oui mais PNL ne peut pas se concevoir uniquement dans sa forme, le fond est tout aussi capital.
Seuls les grands sont capables d’allier le fond et la forme dans le rap et sur QLF, PNL semble y être parfaitement arrivé. Dès le premier titre on retrouve une phrase comme : « J'accorde une danse à la rue bien accompagné j'galette ma solitude après deux teilles ». Comme souvent avec PNL on retrouve deux versants : un côté chantant mais qui est toujours contrebalancer par un certain désenchantement. Dans cette même chanson, “Je vis je visser” on retrouve d’autres merveilles d’écriture : « J'me suis fatigué à rêver / J'me repose sur les faits » ; Le cœur délogé ils ont cassé ma tour / Encore en retard j'arriverai pas à l'heure / J'marche pas avec les putes / Nique, j'attends l'prochain tour”.
Le deuxième titre du projet assoie encore un peu plus la nouvelle domination de PNL sur le reste du game. Une instru absolument parfaite, une ballade dans le monde à la fois chaud et froid de PNL avec toujours comme thème principal, la famille. Dans le premier couplet N.O.S. pose : “Pas comme un frère un pote ça se remplace amigo”. On retrouve également tout le lexique de PNL à l’oeuvre : la famille, (le livre de) la jungle, D&G alliés à un refrain encore imparable. Le troisième morceau, “Différents” apporte lui un souffle quasi épique à l’entreprise des deux frères. En effet, le titre long de plus de 6mn est lui aussi d’un niveau largement au-dessus de tout ce qui se fait actuellement.
Récemment, PNL vient de sortir le clip du 3ème extrait de leur prochain album (Le monde chico) intitulé “J’suis PNL”. Le son est calibré pour l’été, le refrain et l’instru sont une nouvelle fois d’une qualité exceptionnelle. Pour le clip, le groupe quitte la cité pour une villa espagnole mais n’oublie pas de rappeler : « Ouais tout pour la F c'est ma quête ». “J’suis PNL” succède donc aux deux autres extraits : “Le monde ou rien” et “Plus Tony que Sosa”. En évoquant ces deux extraits on peut noter le soin tout particulier apportés aux clips du groupe qui sont souvent eux-aussi de très bonne qualité. Toujours la même recette mais sans jamais se répéter pour ces deux morceaux géniaux. On peut d’ailleurs entendre sur “PTQS” N.O.S. poser une des punchlines de l’année : “J’m'endors cagoulé, je rêve dans l'anonymat”.
Quand dans “Le monde ou rien” on entend : « Igo on est voué à l'enfer, l'ascenseur est en panne au paradis / C'est bloqué ? Ah bon ? Bah j'vais bicrave dans l'escalier » ou “Faut pas t'en faire chico relève la tête la misère m'emmène en balade / Remballe ton échelle au fond du trou j'empile mes péchés j'escalade”on est frappé par une sorte de ressemblance lointaine avec le plus grand groupe de rap français, Lunatic. PNL semble se rapprocher d’un Lunatic contemporain, d’une version ultra-moderne de ce que représentait le duo mythique. À la fois proche et loin de cette légende il s’agit pour eux, désormais, d’écrire la leur. Sous vocodeur.
À l’heure où le rap-jeu avait tendance à s’uniformiser, PNL arrive avec les bravas gonflés et met une grande gifle à tout le monde. On attend désormais avec impatience la sortie de leur projet Le monde chico, leur deuxième cette année pour voir à quel point le duo est loin, très loin dans le turfu.