Skrillex, une quête de liberté

Neuf ans après un intemporel Recess, Skrillex est de retour avec un deuxième album.

Peut-on parler de retour quand on regarde de près la dernière décennie ? Sonny Moore n'a jamais vraiment quitté la production même s'il n'était plus au devant de la scène. Ses plus grands faits d'armes étant des instrus pour The Weeknd, J Balvin, M.I.A. ou encore Ed Sheeran.

Quelques tracks en son nom au compte-goutte laissaient présager un Skrillex assagi, moins criard et plus fin dans sa production. Kliptown Empyrean (2020) était certainement le titre le plus révélateur de ce virage à 180° : même si l'on a jamais douté de ses inspirations, le producteur américain revenait alors aux bases des sonorités dubstep londoniennes.

Pourtant, pour la grande majorité des personnes qui ne suivaient pas son actualité, Skrillex, c'était encore Bangarang, Scary Monsters... On l'écoute pour la nostalgie du début des années 2010 mais peu au premier degré. Il était alors injustement rattaché à une musique adolescente et rebelle alors même que son style prenait en maturité et en exigence (ce qui ne manque pas d'agacer une partie de son public le suppliant pour un retour de son style original).

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que dans le monde des fans d'EDM, ainsi que dans les communautés beatmaking/production, Skrillex est vu comme LA référence. Beaucoup sont talentueux, mais le trendsetter originel, c'est lui. Ce n'est pas pour rien que Recess n'a pas pris une ride, c'est un véritable succès d'estime pour les fans du genre, l'album continue d'inspirer des producteurs actuels.

Il était donc intéressant de constater le contraste entre la critique populaire, le considérant comme un phénomène obsolète, et toute une génération de producteurs n'attendant que son retour au travers d'un LP afin de remettre les compteurs à zéro sur la scène EDM.

En 2021, le DJ secoue la sphère électro avec la sortie de Supersonic, avec l'iconique trio Noisia. Un genre de claque comme on en prend peu, aussi incroyable de par sa simplicité que son sound design. Tiré d'un titre passé quasiment inaperçu sur une des dernières sorties de son label OWSLA, aujourd'hui à l'abandon, Supersonic a remis la hype Skrillex au goût du jour.

Pendant ce temps, les fans toujours fidèles rassemblaient un maximum d'informations autour d'unreleaseds passés lors de DJ sets depuis toutes ces années. Frustration d'un côté d'avoir aussi peu de sorties officielles, mais espoir d'un autre car cela prouvait que Skrillex n'était jamais très loin du studio.

Quelques années plus tard, parmi ces morceaux secrets, l'un d'eux se démarqua particulièrement : Rumble. Révélé lors de la Boiler Room cultissime de Fred again.., dont il est co-producteur, le morceau est minimaliste et terriblement efficace. On sent tout l'amour que porte Skrillex à la musique anglaise dans ce morceau, d'autant qu'on le voyait de plus en plus traîner avec Fred et, grande surprise, Four Tet, oui oui.

C'est alors que tout s'accélère dès le début de l'année 2023 : Rumble sort, le trio Fred-Four Tet-Skrillex enchaîne les sets improvisés, un teaser cryptique sort sur les réseaux sociaux... Il est de retour.

Pas n'importe quel retour, Quest For Fire s'accompagne d'un petit frère, un deuxième album : Don't Get Too Close. Le premier met en avant les productions électroniques, résolument house et drum'n bass, le second fait éclater la casquette de producteur rap/rnb de Skrillex.

Quest For Fire donc, attendu comme le Saint Graal par les fans, et quel album. Le projet montre à quel point le style du DJ américain s'est affiné. Les potards ne sont pas à fond mais le souci du détail est plus que jamais évident.

Le projet s'ouvre sur Leave Me Like This, co-produit par l'excellent JOYRYDE. Un titre bass house texturé, des drums au groove imparable.

La suite n'est que plus étonnante, en tous cas pour un auditeur qui se serait préservé d'écouter les très (trop) nombreux singles sortis juste avant l'album. La plupart des titres étaient déjà connus par les fans, ce qui ne retire en rien leur qualité. Butterflies, avec Four Tet, montre à quel point Skrillex s'est progressivement tourné vers une production dosée, plus ouverte musicalement qu'un Scary Monsters mais bien plus technique dans le fond.

Le casting de l'album est monstrueux (on ne parle même pas de celui de Don't Get Too Close). La tracklist ne manque pas de faire du pied aux vieux de la vieille, amateurs d'électro et autres fans orphelins du label OWSLA : Noisia, Porter Robinson Posij, Aluna... Mr Oizo aussi ! Le sample totalement inattendu de Positif du producteur français se transforme en un banger club avec la voix de Missy Elliott. On connaissait l'amitié des deux DJs depuis End Of The World sur le dernier album solo de Oizo, sorti en 2016. On est tout aussi heureux de les revoir sur ce disque.

Les bangers sont intelligemment répartis tout au long du projet : RATATA, Rumble, XENA, Supersonic... Entre tout ça, Skrillex creuse son style dubstep/dnb aérien, que certains auraient qualifié de "chillstep" à une époque : Tears, dont les textures du refrain sont inouïes. A Street I Know et Good Space nous rappellent l'amour du producteur pour le vocal chopping. Hydrate rend totalement hommage à la bass music originaire de Londres, ce qui nous renvoie au superbe documentaire "All My Homies Hate Skrillex", qui explique comment un style underground et insulaire a pu être métamorphosé à ce point par quelques têtes cramées aux Etats-Unis.

L'album réussit le tour de force d'être éclectique tout en proposant un ensemble cohérent qui dessine parfaitement le style actuel de Skrillex. La dualité entre QFF et DGTC montre à quel point Skrillex est simplement un amoureux de la musique, sous toutes ses formes. La période actuelle lui permet d'être plus diversifié que jamais. On sent que ces morceaux se sont fait dans des moments et des lieux différents, et il n'y a aucune retenue à assumer Quest For Fire comme un journal de bord de ces quasi dix dernières années. La première écoute peut éventuellement laisser une sensation de "best-of", mais les réécoutes attentives ne font que confirmer que Quest For Fire est un très bon projet.