La naissance d'un duo IMPLACABLE

En 2012, peu d'artistes avaient une séparation plus claire dans leur carrière que Killer Mike et El-P.

Le premier nommé, d’Atlanta, sortait albums et mixtapes et se débattait dans le monde des grands labels, tandis qu'El-P, le new-yorkais, s'était déjà imposé comme une légende underground avec son label, Def Jux, mais sans percer auprès du grand public.

Leurs débuts en “superduo” en tant que Run the Jewels interviendra un an plus tard, mais sans RAP Music, il n'y aurait pas eu de Run the Jewels. Et bien sûr, RAP Music est étiqueté comme un album de Killer Mike, mais sachant comment la relation entre les 2 artistes s’est développée dans la décennie qui a suivi, il convient de ne pas omettre la place du producteur.

Si cet album est si grand, c'est grâce à l’implication des 2 artistes, pas d’un seul.

Dans les interviews, Mike avait averti “Cet album est le classique instantané qui manquait auparavant à mon œuvre”. C'était osé et pourtant c’est exactement ce que Mike a proclamé, un classique.

RAP Music traverse la myriade de préoccupations du rappeur, des problèmes sociaux du pays, sûrement exacerbés dans sa ville natale, Atlanta, aux échecs des gouvernements démocrates et républicains pour réellement aider les personnes. Le tout accompagné d’un véritable Rap frontal et viscéral, originel.

Parlons d'abord d'El-Producto. Il a produit tout l’album après que Mike l'ai harcelé pendant des jours pour faire plus qu'une poignée de morceaux jusqu'à ce qu'El-P cède. C'était, il faut le dire, une bonne décision. Le maximalisme du producteur parfaitement adapté à l'aboiement violent et vibrant de Killer Mike, est un fait qui ressort dès les premiers instants du 1er titre "Big Beast". La déflagration sonore, des explosions, des basses exagérées, des mitrailleuses de caisse claire et des toms nucléaires, une claque syncopée, est tout ce qui accompagne Mike qui, avec Bun B, T.I. et Trouble, crache avec une force guerrière.

L’album est lancé, Mike et El-P vous attrapent et tout est trop rapide pour descendre de la course.

Ensemble, les 2 protagonistes célèbrent le pur plaisir du hip-hop. Alors que "Jo Jo's Chillin'" embrasse un rap détendu et décontracté, "Go" crée une grosse excitation avec des rimes rapides qui se répandent à travers des scratchs, un saut dans la fin des 80’s!

l’alchimie est aussi puissante que fluide. Sur "Untitled" (ft Scar), El-P construit des tons sombres et squelettiques couplés à des percussions irrésistibles, Mike, lui, met en évidence les femmes de sa vie : “That's why I'm giving honor to all these baby mommas / It takes a woman's womb to make a Christ or Dalai Lama”.

"Reagan", quant à lui, est un regard qui donne à réfléchir sur l'ancien président, sur de gros échantillons de piano gothiques, passant des critiques de la "guerre contre la drogue" à la politique étrangère interventionniste et, finalement, à un dernier poignard cinglant : "Ronald Reagan was a actor, not at all a factor / Just an employee of the country's real masters / Just like the Bushes, Clinton, and Obama / Just another talking head telling lies on teleprompters… …I’m glad Reagan dead”.

Il prend ce thème à un niveau plus personnel avec "Don't Die", un acte d'accusation de profilage racial et de brutalité policière que Mike a ensuite dédié à l'adolescent tué Trayvon Martin.

Ces 2 chansons l'ont peut-être fait passer pour un extrémiste politique pour beaucoup à sa sortie, mais en 2022, ses opinions politiques sont à un niveau record de popularité. Et bien que, oui, certains des sentiments soient encore extrêmes, il ne fait aucun doute que le maintien de cette ferveur politique n'a fait que renforcer sa présence dans le public. Tout cela crée un sentiment de justice poétique en entendant RAP Music aujourd'hui.

Mais le matériel tentaculaire de Killer Mike n’aurait jamais eu autant de poids sans les propres choix de couleurs d'El-P. Le producteur a fait un travail magistral en utilisant son propre style futuriste tout en s'adaptant aux forces de Mike. Une gamme de sons extraterrestres de synthé, des percussions agressives souvent éclatantes, des structures de chansons sinueuses parfois psychédéliques où se mélangent Gospel, Soul, Jazz, mélancolie et rage, l’essence même du Hip-Hop.

Le résultat est quelque chose de vraiment collaboratif, quelque chose qui semble ne pouvoir exister qu'avec ces deux perfectionnistes implacables. Chacun est entré dans le monde de l'autre au-delà de leur zone de confort.

Une décennie plus tard, RAP Music sonne très actuel. La chimie entre Killer Mike et El-P est sans doute évidente pour nous aujourd’hui, mais à l'époque c'était un sacré pari, c’était quelque chose qu’on n’avait jamais entendu.

La dernière piste, titre de l’album, parle d’elle même : “This is jazz, this is funk, this is soul, this is gospel / This is sanctified sick; this is player Pentecostal / This is church; front pew, amen, pulpit / What my people needin'? The opposite of bullshit” déclare Killer Mike, mais surtout une ligne sort du lot, comme un verset religieux évident, l’intro : “Rap music is my religion. Amen”.

Il y a 10 ans, a été ajouté un chapitre incontournable à la bible du hip-hop, il se nomme “R.A.P. Music”

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