There is something out there
Le voilà, enfin, après 8 ans d’attente, quelques mois d’appréhension, de doutes et d’espoirs. Le nouvel album de Daft Punk débarque sur terre après une campagne de comm’ éprouvante mais maitrisée. Est-ce le chef d’œuvre que l’on nous a vendu au travers des reviews et interviews ? Un peu trop tôt pour le dire, car encore faut-il que l’album soit un « grower » ; comme un bon vin qui devient meilleur en vieillissant.
Ce qui est certain, c’est que les deux compères ne se sont pas moqués de nous. On est dans une formule totalement différente de Human After All qui fut créé en 3 semaines. Ici les morceaux ont voyagés des années durant ; différentes mains, différents studios, différentes versions. Le boulot accompli sur cet album est énorme, ça se ressent et s’entend ; malgré les guests hallucinants, c’est très cohérent, la production est merveilleuse et les harmonies sont belles et recherchées. En revanche le style, qui s’apparente à de la prog funk mid-tempo, en dégrossissant un peu, rebutera les fans qui s’attendaient un album électro dans la veine de ses prédécesseurs.
C’est qu’entre Human After All sorti en 2005 et la sortie de RAM, le visage de la scène électro française a beaucoup changé avec l’émergence ou l’explosion de labels tels que Bromance, Ed Banger, Marble, Zone et d’autres. Dès lors difficile pour Thomas et Guyman, bientôt quadragénaires, faut-il le rappeler, de sortir un album avec des sonorités venues d’ailleurs. D’injecter un nouveau souffle, de l’énergie, dans un mouvement qu’ils ont contribué à créer il y a plus de 15 ans. Avec un style volontairement daté, ils évitent paradoxalement de sortir un disque has-been et cheap. Malin. Personnellement, je me réjouis de ce renouveau que l’on doit en partie à Guyman, qui a confié lors d’une interview que l’ensemble est beaucoup plus proche de lui et de ce qu’il ressent, que de Thomas. Chacun son tour.
L’album à la fois moderne et passéiste des Daft Punk sent définitivement bon la Californie, le pacifique, les palmiers et les couchés de soleil, mais il demeure logiquement teinté d’une douce mélancolie inhérente aux souvenirs. La balade dépressive et intimiste née de la collaboration avec Gonzales en est l’exemple le plus évident. Beyond et Instant Crush sont du même ordre. Usé et à fleur de peau, Casablancas livre l’une des meilleures track de l’album. Un futur single, un futur hit.
Des futurs succès il y en a d’autres. Doin’ it Right, où Panda Bear confirme son talent, Give Life Back to Music qui ouvre l’album avec un groove tonitruant et funky, et l’irrésistible Lose Yourself To Dance. Avec son rythme lent inébranlable, le morceau dégage une classe d’une autre galaxie ; plus le titre avance, plus on les sent intouchables, sûr d’eux et de leur album. Get Lucky, que le monde entier connaît déjà, termine cette quadrilogie de pistes nous invitant à transpirer sur le dancefloor, entre boulot et dodo. C’est là le cœur de RAM à mon sens.
En marge de ces titres bien calibrés et maîtrisés se glissent des expérimentations plus ou moins réussies. Giorgio by Moroder est une vraie réussite. Le parrain de la disco nous conte son histoire, et celle de la musique du futur. C’est progressif et ça se termine gentiment sur un kick purement électronique. Un bel hommage. Mais la composition la plus ambitieuse est Touch. Ici tout est dans la démesure. Techniquement d’abord avec plus de 250 pistes au mixage, mais intrinsèquement aussi. La structure du morceau est complexe, peut-être un peu trop labyrinthique, les changements de rythmes inattendus, les styles et instruments nombreux. Le morceau s’en trouve d’autant plus varié émotionnellement. Paul Williams et Daft Punk ont été sûrement un peu trop gourmand et c’est parfois un peu maladroit, mais peut-on réellement le leur reprocher ?
L’album se termine avec Contact ; composition remaniée vieille de plus de 10 ans. Ca s’énerve un peu - « enfin » diront les mauvaises langues. C’est très visuel et cinématographique. Un orgue cérémonial, une batterie et une montée interminable, un décollage de fusée vers l’hyper-espace. C’est une petite claque que l’on se prend, et ça fait du bien. Les images du Wee-Waa festival confirment son potentiel en live.
Sur la forme, la production est bienveillante, ce n’est pas surcompressé, ça respire. Les sonorités sont organiques et très précises mais comment pouvait-il en être autrement au vu du matériel utilisé ? Synthé modulaire fabriqué sur mesure de 1 mètre 50 sur 2, vocoder vintage, l’orgue de Moroder quasi-unique au monde, etc. On est très loin de Homework, conçu dans une chambre improvisée en studio.
Random Access Memories, en dépit de tous ces moyens et la pléiade de featuring qui réussissent tous là où on les attendait, n’est malgré tout pas un album irréprochable. La sur-utilisation des violons est un peu pompeuse et agaçante. Il est un peu trop bavard aussi. L’absence d’un titre fédérateur, carré, vif, orienté dancefloor peut être préjudiciable. Il faudra attendre l’import Japonais et Horizon, la suite logique de Contact, pour confirmer ce dernier point. Reste à voir si tous ces petits défauts s’effaceront au fil des écoutes ou inversement, mais pour le moment, ne boudons pas notre plaisir : les Daft Punk ont réalisé un album audacieux, beau, inattendu, homogène et populaire. Largement au-dessus de la mêlée, Random Access Memories est un superbe album.