Jay-Z savait il d'avance que son premier disque serait sans aucun "doute raisonnable",un classique?

Des battements de cœur. C'est ainsi que commence l'album de Shawn Corey Carter alias Jay-Z. Comme pour exprimer son émotion à l'aube de la sortie de son premier opus sorti en 1996.

C'est que le pari est "risqué". Las des vices que la rue lui offre, il décide de monter son propre label avec deux se ses amis de fortune. Le premier est Damon Dash, un producteur d'Harlem, le second, Kareem "Biggs" Burke. Roc-A-Fella est crée, et " Reasonable Doubt " est leur premier album.

Jay-Z a déjà goûté au monde de la musique quelques années auparavant. C'était avec son compère Jaz-O. Qui à la fin des années 80, avait dégoté un contrat avec EMI. Jay-Z avait posé avec lui sur quelques titres comme "Hawaiian Sophie", où rien que le côté kitsch de la vidéo et le fait de voir Jay-Z en short/chaussette blanche vaut le détour !

Mais devant le piètre niveau des albums de Jaz-O, EMI rompra son contrat, et Jay-Z devra trouver un autre moyen de continuer dans la musique. Ce que ne comprennent pas ses autres compères dealeurs du quartier de Marcy Projects, à Brooklyn. Shawn vit alors toujours avec sa mère, son frère et ses deux soeurs. Le père les ayant abandonné au début des années 80. Il vivait grâce aux petits trafics après un parcours scolaire plutôt chaotique.

Il prit alors les choses en main et commença à faire tourner des maquettes, des mixtapes dans la rue. Ce qui lui permit de gagner un peu en crédibilité et de signer par ci par là quelques titres, mais rien de bien concret. Roc a Fella est donc crée et deviendra un label important et un vivier de talents du rap new yorkais pour la décennie.

Là où beaucoup de ses concurrents abordent tous les ustensiles B-boys ou de mauvais garçons, Jay lui préfère les vêtements beaucoup plus classieux de mafieux ( grande écharpe de soie, chapeau feutré,cigare ) pour la couverture de son opus. Un goût prononcé pour le luxe et les choses matérialistes sont déjà les attributs de Jay-Z, qui ne le quitteront pas de sa carrière. Tellement significatif quand on sait que Jay-Z est devenu l'une des plus grandes richesses du monde du rap, et du monde de l'entertainment.

L'album est à l'égal de l'image de la couverture, sobre et classieux, et se laisse écouter avec une très grande facilité. Dans la lignée des classiques du rap new-yorkais, on retrouve le travail de véritables pontes de la production comme DJ Premier, Clark Kent et Ski. L'ambiance feutrée, classieuse de l'album est dû aux influences soul, jazzy et funky des 14 titres. Les connaisseurs reconnaîtront des samples d'Isaac Hayes ou des Ohio Players pour ne citer qu'eux. Quant à la voix de Jay-Z, pourtant aigue, elle se colle parfaitement à l'ensemble. Son assurance et la distance qu'il prend face à ses récits lui donne une prestance certaine.

Jay-Z s'offre même les services de Mary J. Blige sur le premier titre, " Can't Knock the Hustle " . Quoi de mieux pour commencer son album qu'un morceau sublime en compagnie de la diva du R'N'B ?
Jay pense aux amis et quand c'est le cas, c'est le public rap qui est ravi. "Brooklyn's Finest" est l'un des rares morceaux où l'on retrouve Jay-Z en featuring avec The Notorious B.I.G. Protégé de Puff Dady et déjà considéré comme le roi de New-York. Le morceau est un véritable acte de bravoure de la part des deux MCs qui se livrent une joute verbale amicale à celui qui aura la plus grosse. Pour la petite anecdote, il n'a pas été très dur pour Jay-Z de faire appel à Biggie, les deux étant dans la même classe au lycée et très bons camarades.
Rien que ces deux featurings ont le mérite de hisser l'album à un très haut niveau. Mais c'est un sample qui va être la cause d'un des plus grands beef de l'histoire du rap.

Dans " Dead President ", titre magnifique basé sur un sample de Lonnie Liston Smith, "A Garden of Peace" , on retrouve aussi un sample de Nas tiré de son titre " The World Is Yours " dans le refrain. L'histoire commence lorsque Jay propose à Nas de venir reposer directement le refrain et d'apparaitre sur la vidéo. Ce que le natif de Queens Bridge refuse. S'en suit alors une dispute sur l'origine du sample, et de son utilisation. Le beef dura jusqu'en 2004, et aura vu un nombre improbable de diss tracks lancés l'un sur l'autre, les plus connus étant "Takeover" de Jay-Z et "Ether" de Nas.

Pour ce qui est du contenu lyrical, Hova utilise des métaphores, des jeux de mots, avec un regard avisé et critique sur son passé de dealers. Son niveau d'écriture lui a vallu d'être parmi les meilleurs tels que Nas ou 2Pac. Jay évoque la vie à la Scarface en faisant référence aux films de gangsters, entrant dans la lignée des rappeurs ayant popularisé le " mafioso rap ". Style popularisé entre autre par Kool G Rap quelques années plus tôt. Raekwon du Wu-Tang Clan, Nas, ou AZ tout comme Jay-Z appartiennent à cette famille. Il s'agit de conter une vie fait de luxe, de matérialisme, de nez dans la coc' , de belles bagnoles, et de règlements de compte. Une façon de se projeter dans la peau d'un personnage et de laisser marcher ses fantasmes. Jay-Z évoque de façon critique les effets négatifs du crime ("Regrets", "D'Evils") , les infidélités dans "Ain't no Nigga" avec la débutante Foxy Brown, les amis qui retournent leur vestes dans "Friend or Foe" et le goût du luxe dans "Cashmere Tought". "22 Two's" est l'occasion de voir que Jay-Z est déjà spécialisé dans le freestyle, lui qui, d'après ses dire, ne pose jamais ses rimes sur papier mais toujours de tête.

" Reasonable Doubt " ne s'écoula pas à beaucoup d'exemplaires à sa sortie et dû attendre 2002 pour être certifié platine. Il n'empêche que cet opus reste un classique inoxydable qui a gagné du galon au fur et à mesure que Jay-Z fut célèbre. Cet album est témoin du talent dont Jay-Z avait à ses débuts, Puff Daddy ne s'y trompera pas quand il le produira pour son prochain album un an plus tard. Après que sa poule aux oeufs d'or The Notorious B.I.G. fut assassiné. Le siège de roi de New York vacant, de nombreux rappeurs n'ont cessé de se l'approprier, de le réclamer, mais pour de nombreux fans, Jay-Z était indiscutable à ce poste depuis des années. Lui qui a plusieurs reprises à annoncer sa retraite, revenant à chaque fois, toujours plus fort dans coeur des gens. Devenu aujourd'hui milliardaire et véritable ponte du milieu de l'Entertainment, Reasonable Doubt n'est pas l'album qui lui a fait gagner le plus d'argent, mais celui qui lui a permis d'établir sa légende.