On a beau regarder d’un œil attendri et bienveillant les deux premiers efforts studios de NoFX, les auréoler du charme de la jeunesse, leur trouver la belle spontanéité de l’adolescence, il faut savoir raison garder et admettre qu’avec ce type de production, la bande de Fat Mike n’aurait probablement jamais connu qu’un succès d’estime tout relatif, condamnés à la seconde zone pour l’éternité.
Puis un jour est venu Ribbed.
La maturité est tombée sur NoFX brutalement, comme un piano du troisième étage, sans prévenir, sans la moindre petite amorce de début de présomption. PAN. D’un coup d’un seul, le renouveau. Ribbed n’a que peu de liens avec ses prédécesseurs. Fat Mike a retourné sa veste patchée plus vite qu’un Dutronc des grands jours. Oubliées, reléguées aux oubliettes, les prétentieuses incursions metalliques des jeunots. Les quatre gaillards ont fait place nette sur la table ronde de leur punk. On ne s’embarrasse plus de superflu, on synthétise la composition, seul doit subsister le riff incisif apte à décrocher la mâchoire, l’uppercut, le direct, les dents volent, le train file en hurlant, il laisse sans regret les mous et les discutailleurs en gare, les hésitants, les metalleux, les hippies.
Melvin est enragé. Il violente sa guitare, il viole son instrument. Un accord, une note, l’essentiel, toujours l’essentiel puis arrache son jack, savate son ampli, met fin à la création avant qu’un élément perturbateur ne vienne s’inviter, véroler sa recherche nihiliste. Car le mieux est l’ennemi du bien. Car l’œuvre parfaite n’est pas celle où rien n’est à ajouter mais celle où rien n’est à retirer.
Ribbed est pourtant tout sauf idiot. Il cache fort bien son jeu. Dupes et tromperies. NoFX planque sournoisement son intelligence sous un monceau de détritus et de bêtise (The Moron Brothers) et inversement (Together On The Sand). Sans atteindre la perfection en la matière (ça viendra), les californiens s’amusent de leurs auditeurs, déforment joyeusement les apparences. Il faudra, le début d’une constante chez NoFX, de nombreuses écoutes pour percer les secrets d’un album faussement niais. Le moche se travesti en beau, le beau en laid. Cette approche si particulière, polissonne, sera celle du groupe jusqu’à sa prochaine renaissance artistique et l’avènement d’un certain War On Errorism. Mais ceci est une autre histoire.
NoFX a grandi, appris de ses errances. Ribbed est enfin l’album de la révélation, la première expression concrète du talent de Fat Mike. C’est la première self-révolution de NoFX (pas la dernière), une deuxième naissance miraculeuse, une remise en question absolue, la marque des grands artistes. Le Son NoFX est né et bercera la scène punk pendant de nombreuses années.
La consécration ne sera pas encore au rendez-vous. Un peu de patience, il ne faudra rien de moins qu’un chef-d’œuvre en puissance pour effacer les premiers méfaits du groupe de la mémoire collective. Cela ne saurait tarder.