Cet été* c'est avec encore en tête les échos de la déflagration Who Cares que nous apprenions que Jessica93 remettait déjà le couvert. Pour beaucoup le premier contact avec l'engin ne remontait qu'à quelques mois passés, depuis, au rythme lancinant de la première charge du parisien. Faux disque pouilleux mais véritable révélation la galette avait, il faut le dire retourné quelques têtes. Fin 2014, l'automne est passé, et si le timing peut surprendre, la question persistante du retour précipité est vite balayée: J93 est loin d'avoir tout dit.
Il y a un an, tout le monde s'accordait pour faire de Who Cares un album résolument moderne, 100% actuel bien que bidouillé en solo avec des ficelles vieilles de vingt, si ce n'est trente ans (ont été cités un peu partout, pelle-mêle et à plutôt à raison The Cure, Godflesh, Nirvana...). Une grille de lecture évidente pour un disque pourtant étrange car aussi radical dans ses partis-pris que capable comme peu de nous amener à adhérer à son propos tout en donnant l'air de n'en avoir rien à foutre. Incompréhensible et immédiat, inusable et délectable. Du génie en boite, ou parmi ce qui s'en rapprochait alors le plus du coté fracassé de la scène hexagonale (Le Chômage, Besoin Dead, The Dreams, Dead...).
Aujourd'hui, rapidement mis sur les rails ("Now", comme un prolongement), ce second méfait s'extirpe néanmoins tout aussi vite du piège qui voudrait qu'à suivre d'aussi près son aîné il se doive de marcher dans ses pas. Rise n'a pas vocation à être une séance de rattrapage et, dans cette logique, dévoile dès "Asylum" sa première cassure et son premier coup d'éclat. Véritable point de référence de la maturation ultra-rapide de l'identité Jessica93, le premier single - clippé - de l'album positionne d'emblée, sans l'arracher à des habitudes que l'on reconnait déjà, le one-man band à un autre niveau: plus subtil, homogène et resserré, moins abrupt aussi. Plus rond serait-on tentés de dire, par opposition avec l'austérité Who Cares. Presque aussitôt mis à mal par un "Surmatants" conquérant au groove féroce puis confirmé par un "Inertia" apaisé et plus chanté que jamais mais à se flinguer, le qualificatif prend pourtant bien ici tout son sens.
Moins ouvertement anxiogène et en prise directe avec un quotidien déliquescent, *Rise*filtre d'avantage, arrondi les angles de l'univers sonore de Geoff Laporte sans en trahir le contenu. Dissimule à peine derrière guitares vaporeuses, lignes de chant plus assurées et un rééquilibrage Indus/Coldwave ("Karmic Debt") des inspirations et préoccupations franchement pas jouasses visiblement toujours déballées sans autre arrière pensée que de crever l'abcès. J93 parvient avec subtilité, jouant sur l'équilibre entre boucles hypnotiques, attaques rythmiques et évolutions mélodiques glacées à amener cette nouvelle sortie à un stade de tension permanente, sur le fil ténu séparant oppression, rigorisme, évasion et volupté. Remarquable dans sa relation très je-t'aime-moi-non-plus dramatiquement en phase avec son époque Rise baigne dans un spleen urbain alimenté de dépression, d'isolement, d'angoisse et de fog, d'ennui profond et de rébellion sourde.
En accouchant d'un second disque aussi nécessaire que capital en autant d'années Jessica93 vient probablement de s'inviter une fois pour toutes à la table de ces projets qui auront compté. Quelque soit sa trajectoire à venir. A l'écoute de Rise, gageons que celle-ci sera très certainement captivante.
"You're all gonna dance with me
You're all gonna dance with me" - ("Surmatants")
*Initialement publié en 2014 sur Metalorgie.com
http://www.metalorgie.com/groupe/Jessica93#5130