Il serait peut être temps que le petit père Burton l'admette. Il a la flemme et cherche à tromper l'ennui avec des artifices qui ne sont pas les siens.
Déjà assez peu ému par le visionnage d'une bande annonce que l'on qualifiera de gentiement merdique, voilà que je me retrouve en salle à visionner ce film complètement par erreur, pleinement conscient qu'il ne me serait jamais venu à l'esprit de me l'infliger tout seul. Deux heures plus tard, le manque d'enthousiasme laissait place à l'affliction franche.
Dark Shadows est une création hautement Burtonnienne - et dieu sait ce que cet état d'étrangeté quasi permanent dans lequel il semble flotter a pu nous apporter d'émerveillement - rien à redire à cela. Premièrement Johnny Depp est là, comme à son habitude plein, sublime de décalages (certes un peut trop convenus), dans son élément. Ensuite, Helena Bonham Carter est un fois encore de la partie (il faut se faire une raison dorénavant on n'y coupera semble -t-il plus). Et surtout le film, dès ses premiers instants, est tout à la fois d'une précision redoutable, fourmillant de détails visuels et entouré d'une aura doucement féérique et surnaturelle. En apparence du Timmy 100% pur jus sans sucre ajouté comme on en goute depuis grosso-merdo deux décennies.
Mais là, hommage ou pas et délire purement burtonnien compris, ça ne prend pas. La sauce tourne aigre, le vernis craque, s'effrite rapidement sous le doigt à la recherche du mélange de cette pointe de magie, de noirceur véritable et de désinvolture qui caractérisaient l'oeuvre du californien. Dark Shadows après un démarrage au potentiel indéniable s'éparpille à mesure qu'il nous introduit une galerie de personnages tantôt sur-(Angelique Bouchard aussi glacialement belle que d'un machiavélisme crétin) ou sous-exploités (Victoria Winters, spectatrice, David Collins) et toujours globalement survolés dont le rôle est visiblement, plus que d'asseoir le fond de notre aventure, d'apporter une justification à une série de délires abracadabrantesques et de scènes allant du vaguement drôle au carrément poussif (la scène "torride": au secours!) devant nous mener au terme (attendu et entendu) d'un film plutôt vain. Alice Cooper (?!) ne sert à rien, Michelle Pfeiffer est aussi parfaite(ment fantomatique) qu'elle se fait rapidement oublier tout comme Chloë Moretz et son personnage (la fille rebelle) à haute teneur en superficialité que l'on semble ressortir de son tiroir quand la situation nécessite un revirement quelconque (consternant final). Tout ce petit monde, à l'exception du presque toujours intouchable personnage principal de Burton, semble subir ces 1h52 plus qu'il ne les anime, entre et sort de l'intrigue sans que cela ne perturbe en rien le non rythme du film. La caricature ne sert plus la satyre, la délicatesse s'est envolée et la technique englobe désormais plus le tout d'un gros papier brillant que de mystère.
Il reste néanmoins compliqué de dire que Dark Shadows est une irrécupérable bouse. Pour ces premières minutes, pour ces trop rares situations cocasses servies par un Depp qui connait la musique mais déroule avec une aisance et un plaisir que l'on croirait éternels et pour le film qu'il aurait pu être. Car le matériau de base est bon, cela crève les yeux. Mais voilà, lorsque l'esprit du lecteur devance perpétuellement la fable de trois pages et que la surprise ne vient pas, force est de constater l'échec. Dark Shadows est un échec : celui de son réalisateur qui a tout bonnement salopé le travail. Me demander de croire un seul instant le contraire revient ni plus ni moins à se foutre de la gueule du monde.