Le monstre de Frankenstein sur scène, dans un rituel froidement hystérique d'extermination des standards du Velvet : l'un des rares exemples à date où les guitares à grand spectacle, où l'outrance dans le mauvais goût ne viennent pas gâcher le plaisir, mais au contraire le cristalliser dans une orgie sonore rédemptrice. Après tout, le Rock n'est surtout pas affaire de respect !
Il y a tout d'abord la pochette, mythique, la plus belle de toute la discographie de Lou Reed : la conscience brûlée par la lumière blanche de l'héroïne - ou de quoi que ce soit d'autre qu'il prenait à cette époque bien chargée -, Lou Reed a abandonné toute pudeur, et vacille, hébété mais triomphant au bord du gouffre. Croix gammées rasées dans les cheveux, pupilles dilatées au fond des orbites noircies, un épouvantail risible dans des oripeaux sado-maso vient nous défier au nom de "l'animalité". Le monde devient spectacle, et la douleur et la folie montent au box office : une pochette tout simplement exemplaire d'honnêteté (tout y est...) et de putasserie à la fois (...mais sublimé par sa mise en scène).
Il faut ensuite se souvenir du contexte : Lou vient de publier l'album vénéneux qu'il considère comme son chef d'oeuvre absolu, "Berlin", que la critique américaine a vomi, et que (presque) personne n'a acheté. RCA lui met la pression pour qu'il fasse du plus commercial, dans la veine (hi, hi) de son "Transformer". Taquin - et bien allumé - il monte un groupe de gros rock lourd avec deux (2 !) virtuoses à la guitare, et un bassiste quasi jazz-rock (groupe brillantissime récupéré ensuite par l'ami Alice Cooper), et se met à jouer des versions à grand spectacle de ses classiques - alors quasi inconnus - du Velvet... qui se révèlent, contre toute attente, des chansons "killer", des crowd pleasers pour stade. Puis il sort cet album qui se vendra bien, qui fera hurler quelques puristes, mais qui reste 45 ans plus tard l'un des plus absurdement jouissifs de cette époque d'excès glam et électriques.
Il y a d'abord la provocation absolue de cette "Intro" signée Steve Hunter, où les deux guitares déchaînées font patienter la foule pendant que Lou finit de se poudrer le nez : les jeux du cirque, on vous dit. Et quand le "Rock'n'roll Animal" entre en scène comme un dieu (à demi-)vivant, sur une version metal du fabuleux riff de "Sweet Jane", c'est l'hystérie dans la salle. Et, si vous écoutez cet album dans un format acceptable (le vinyle Dynaflex de l'époque est plus que hautement recommandé !), normalement c'est l'hystérie aussi dans votre tête. En plus, fait exceptionnel, Lou Reed CHANTE, au lieu de grommeler ! Lou Reed, incroyable, met du coeur et de l'âme dans ces morceaux qui constituent sans doute ce que la musique de la fin des sixties a produit de meilleur. Ou plutôt, reformulons : tout dans son attitude hurle "Je m'en branle complètement, bande de connards !", mais la rage et la frustration de Lou embrasent tout.
A l'exception de "Heroin", dont il faut bien reconnaître que la noirceur absolue ne saurait être sublimée par les pics d'électricité frénétiques de Hunter et Wagner, le reste des versions jouées ici est EXTRAORDINAIRE, radicalement opposé à l'esprit du Velvet ou de "Berlin", mais un p... de modèle absolu de ce que se doit d'être le rock'n'roll joué sur scène.
L'embrasement nucléaire du final de "Rock'n'Roll" restera pour moi l'un des plus beaux orgasmes de ma jeunesse, et me fournira toute l'énergie nécessaire pour continuer à vivre durant toutes les décennies qui suivirent...
C'est tout simple en fait : "(My) life was saved by Rock'n'Roll".
Alright ! Alright ! Alright ! Et, où que tu sois aujourd'hui, merci, merci, merci... Lou !
[Critique complétée en 2019 à partir de textes écrits en 2000]