Romance
7.2
Romance

Album de Fontaines D.C. (2024)

Grian Chatten aurait-il réussi la transition entre une escapade en solo infiniment introspective et un quatrième voyage en date pour lui et ses quatre frangins ? À la séduisante première écoute, on serait tentés de résumer les choses ainsi : comment ne pas féliciter le quintet dublinois pour sa capacité à se renouveler en conservant l’essence de leur musique ? Il semblerait que ce soit tout ce qu’un musicien souhaite qu’on dise de son art, à juste titre. Pourtant Romance témoigne d’une ambition différente pour Fontaines D.C. qui prend le risque de travestir son identité, peut être pour nous faire rêver davantage.

A Hero’s Death et le passage périlleux du deuxième album avaient réjoui l’auditeur qui voulait entendre sa propre sensibilité chantée par Grian Chatten. On y trouvait après la pureté toute humble de Dogrel, un désir de s’inscrire pour de bon dans la grande histoire de la musique avec des inspirations manifestes des Beach Boys ou du Velvet Underground. (À la même époque le groupe enregistre des reprises de « Wouldn’t it be Nice » et « The Black Angel’s Death Song »).

En 2022, Skinty Fia nous fait entendre la scène pop-rock des années 2000 à la sauce Fontaines DC. Succès monstre mérité : tout y était et on ne manquait de rien. Des guitares rythmiques acoustiques réverbérées aux mélodies on ne peut plus entêtantes. Les cinq irlandais entrent réellement dans la légende du rock. En bref, cela sonnait déjà comme une apogée. 

Pas étonnant donc, que le temps écoulé avant la sortie du prochain album soit le plus long enregistré par le groupe (2 ans et 3 mois contre à peu près 1 an et demi pour les autres). Qu’est ce qui a changé pendant ce temps ? 

Première metamorphose, les Dublinois sont devenus Londoniens. Effectif avant la sortie du Skinty Fia qui questionnait d’ailleurs en profondeur la relation pour le moins tendue entre l’Irlande et le Royaume-Uni, ce déménagement, on l’imagine, doit avoir fait sentir aux irlandais ce que c’était d’être loin de chez soi, d’être différent. 

Laissant ensuite de côté Dan Carey, leur génial producteur de toujours qui a aussi accompagné Chatten en solo pour Chaos for the Fly, c’est James Ford que les Fontaines sont allés chercher pour imprimer un renouveau que l’on sent désiré. Après l’excellent The Ballad of Darren de Blur, le britannique semblait parfaitement indiqué pour inciter un groupe ultra populaire à retrouver sa dynamique et exister d’une manière différente. 

Pari tenu avec Romance, et pour cause : on sent que les Fontaines D.C. sont ailleurs. Où ? Sur une autre planète, c’est sûr. Leur carrière ne cesse de prendre de l’ampleur d’une manière explosive que l’on a rarement constatée dans la scène musicale des dix dernières années, encore moins en Irlande. 

Rester l’act le plus en vogue de la scène rock a son lot de pression, on en convient aisément. En témoigne bien la manière dont les cinq garçons dans le vent sortent de leurs pompes pour en enfiler d’autres comme une manière de changer de perspective. Pour la première fois, on sent qu’il leur fallait mieux s’oublier un peu pour pouvoir continuer à exister.

Et subitement, inspiration devient identité. Alors ils changent de vêtements et adoptent une ligne artistique bien précise qui leur plait et leur correspond sans aucun doute mais si appuyée qu’elle vole presque la vedette à l’authenticité toujours palpable dans leur musique. Soit. 

De deux choses l’une alors : ou bien on est complètement séduit tant leur nouvelle peau colle à la notre ; ou bien on se sent un peu lésé, au fond, que l’ami Fontaines D.C. qui nous a bercé depuis 2019 s’en soit allé un peu loin de nous. 

Loin oui, mais vers quoi ? 

Les grandes salles d’abord. Fontaines D.C. qui parcourait l’Europe et le monde avec une rage de convaincre a finalement fait ses preuves et ne jouera a priori en France qu’à Paris (Zenith Paris-La Villette le 13 novembre 2024).

Enfin pour ce qu’il y a de plus important, c’est musicalement que l’identité est la plus difficile à saisir, et tant mieux. Pour résumer les choses on céderait aisément à la facilité en disant que le positionnement est à l’instar de ce que l’on entend beaucoup dans la musique actuelle qui nous fait revivre les années 90 en long et en large. À la bonne heure, ils sont (très) bons et évitent la caricature. Pareille à elle-meme en bonne opening track, « Romance » donne le ton et suggère déjà que ce qu’il y aura à entendre par la suite sera inhabituel. Il en allait de même pour « Starbuster » qui avait été choisi comme premier single et en a surpris plus d’un.

Plus encore que dans aucun de leur album jusqu’ici, aucune minute d’écoute ne s’écoule sans qu’on ait envie de dire « ça me fait penser à … » plusieurs fois. Impossible alors de citer toutes les inspirations, mais en passant de Prefab Sprout plus 80’s que 90´s (« In the Modern World » ; « Bug ») au Grunge, les Fontaines D.C font dans l’universel et s’adressent sincèrement à tous ceux qui auront envie de les entendre au moins autant qu’ils prennent plaisir à en faire rager certains autres. 

Belle leçon enseignée par Fontaines D.C. donc : que Romance soit le préféré ou le moins aimé de leurs quatre opus, ce seront toujours eux qui tiendront les manettes, aussi flamboyante leur carrière soit-elle. 

Nous faire rêver davantage, peut être, mais surtout plus longtemps. Car s’ils s’autorisent à rester ou ne pas rester qui ils sont, c’est peut-être que là réside le secret de leur longévité. 

En un mot, pour les Fontaines D.C. qu’on a aimé, qu’on aime et qu’on aimera, il y a un avant et un après Romance, bien plus pour le meilleur que pour le pire, fort heureusement. Alors vivement la suite, encore et toujours.

titouleb
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le 25 août 2024

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