Pourquoi je considère que c'est le dernier bon disque de Renaud

A l'heure où Renaud s'est définitivement perdu, par un trio démoniaque de preuves (l'album Phénix n'ayant rien de reluisant - l'album pour enfants mais pas trop - Corona Song, naufrage spectaculaire d'un grand parolier humaniste), je suis pris d'une irrésistible envie de retourner écouter "Rouge Sang", album dont la réception fut on ne peut plus bipolaire. S'il est avéré que ses come-back (respectivement "Boucan d'enfer" et "Phénix") sont beaucoup mieux accueillis que les suivants ("Rouge sang" et "Les mômes et les enfants d'abord"), je pense qu'on peut admettre que les comparaisons ne tiennent pas longtemps debout face aux affres du temps que Renaud a tant de mal à encaisser. Je trouve que l'album post-premier come-back souffre de cela dans sa réception, même s'il n'est évidemment pas à la hauteur d'un "Putain de camion" et autres "Marche à l'ombre". Mais au moins, sur ce disque, tu ne sens pas le chanteur qui se force à se tenir debout face à un micro sur-truqué pour pouvoir picoler comme il le souhaite au bistrot. Il y avait une vraie force, une réelle motivation, notamment d'ordre familial avec la très présente Romane Serda et son fils Malone. C'est pas une résurrection de pacotille pour pousser les gens à une pseudo-solidarité les entraînant à acheter le disque, c'est un véritable homme revenu d'entre les démons qui revient mettre l'amour au pinacle en chansons. C'est ce qui fait que cette galette est touchante, et déprimante aussi à posteriori avec ce qu'il est devenu. Pour parler purement musique, la voix même si cabossée tient la route. Il se fais des auto clin d’œils, mais alors qu'aujourd'hui il en fait pour susciter de la nostalgie chez ses fans de façon pathétique, ici cela tient dans une continuité, un naturel en dehors d'un simple fan-service mal placé. Bien sûr, des titres pas terribles, "Rouge Sang" en contient : "Les Bobos" non seulement incite aux complexes culturels mais en plus plagie "Dr Renaud Mister Renard", "Ma blonde" fait vachement Mr Premier Degrés, "J'ai retrouvé mon flingue" prend le risque de comparer les deux hargnes et elles sont évidemment très différentes quand on passe d'anarchisant à droite, et "Jusqu'à la fin du monde" est franchement cliché et décevante. Certes. Trois fois trop de titres. Mais j'ai une grande sympathie pour les autres. "Adieu l'enfance" est particulièrement juste et est finalement la chanson qui décrit le mieux la raison de sa déchéance. "Arrêter la clope" est très bien écrit et possède du tonus. "Elsa" et "Malone" sont des belles preuves d'humanisme authentique, toujours avec des réelles envies musicales de changements. Même si il est un peu trop cliché, "Pas de dimanches" fais plaisir également... Et, personnellement, terminer une carrière sur "Je m'appelle Galilée", émouvante unique chanson érotique de Renaud, ça aurait eu une certaine classe.
Je crois que, pour apprécier ce disque à sa juste valeur, il faut éviter de trop comparer cette période à celles des années 70-80. Ce Renaud-là est mort et ne reviendra pas. Celui des années 2000 n'est pas à sa hauteur, et il faut prendre en compte l'expérience. Durant les années 2000, il ne le justifiait pas par ses addictions, il cherchait plutôt à prévenir, avant de balancer ses douleurs de cinquantenaire. Aujourd'hui, Renaud n'a plus que ses addictions pour ramener le public vers lui. Tous les artistes ne finissent pas sur des grands disques, loin de là : Gainsbourg avec "You're Under Arrest" ou "Stup Virus" pour Stupeflip, par exemple. Mais personne ne produit "Corona Song" à la fin de sa carrière. Alors, je préfère me mentir et me dire que "Rouge Sang", album bien vivant, dernier vestige de ce qu'était l'âme Renaud, est son dernier album.