Quand Safe as milk, premier disque de Captain Beefheart, est venu à mes oreilles, j'ai mis du temps à m'en remettre. M'interrogeant sur cette œuvre aussi surréaliste que fascinante, débordante d'idées et dégageant un blues totalement unique, psychédélique et hallucinant, j'en ai vite conclu qu'il faisait partie de ces pépites de la deuxième partie des années 1960, aujourd'hui oublié, qui n'ont pas eu la même aura que les Doors ou Hendrix.
Des albums comme ça, vous en écoutez peu dans votre vie et il suffit que vous soyez réceptif à ce genre et c'est une claque immense qui vous attend. De son vrai nom Don Glen Vliet, Captain Beefheart, aussi peintre et sculpteur, s'est forgé à coup de blues et rhythm and blues, notamment avec Frank Zappa qu'il a rencontré à l'université et avec qui il s'est lié d'amitié. Il forme en 1965 le premier Magic Band où il s'imposa assez vite en leader et enregistre son premier album Safe as Milk en 1966 (mais qui ne sortira qu'en 1967). La patte du Captain se trouve avant tout dans le blues, notamment celui du Delta et Howlin' Wolf, mais toute la force et l'unicité de sa musique se ressent dans la façon dont il mêle ce blues à du free-jazz, du rock psyché et garage ou de la soul. Il construit aussi sa musique autour de diverses expérimentations, ajouts d'instruments en tous genres et sonorités particulières, l'ensemble formant un son unique et hybride totalement surréaliste.
Ce qui frappe aussi, c'est la qualité et l'assurance de l'équipage du Captain, chaque musicien (dont Taj Mahal aux percussions) est en parfaite osmose avec l'ambiance générale de l'album, la basse (monstrueuse !) tout comme la batterie est extra mais l'un des principaux protagonistes de l'album n'est autre que le jeune (19 ans lors de l'enregistrement) Ry Cooder. Ce dernier, notamment connu pour ses collaborations avec les Stones et quelques musiques de films, livre d'exquises partitions de slides guitares, apportant sa touche et contribuant au son unique de cet album. C'est aussi dans ce subtil mélange d'instrument (et la manière de les utiliser) que Safe as Milk brille, notamment l'harmonica et l'orgue, contribuant aussi à l'unicité du son que le Captain nous concocte. Ce dernier pose d'ailleurs sa voix puissante et rauque avec brio sur l'album, collant parfaitement à l'atmosphère générale.
Dans un style parfois assez proche de Zappa (et notamment de ses Mothers of Invention), le Captain se démarque en étant beaucoup plus blues, et la rencontre entre ce genre et ses expérimentations donnent lieu à quelques pépites. De l'excellent blues traditionnel qui ouvre l'album Sure 'Nuff 'N Yes I Do au magnifique Autumn's Child qui le clôt en passant par le psyché Zig Zag Wanderer, l'énorme Electricity, la ballade country Yellow Brick Road ou encore le blues électrique Where There's a Woman, strictement aucun titre n'est à jeter et ils forment un ensemble totalement fou mais cohérent permettant de maintenir cette atmosphère totalement folle sur toute la durée du disque. Les changements de tons sont nombreux, parfois assez brusques que ce soit dans l’enchaînement des titres ou dans les chansons elles-mêmes et, tour à tour, le groupe sait se faire mélodique, puissant ou encore électrique et finalement, Safe as Milk dévoile aussi que derrière ce disque totalement fou se cachent un extraordinaire compositeur, un poète surréaliste et des musiciens hors pair.
La claque fut immense et le Captain Beefheart, accompagné de son Magic Band, livre un monument, un album unique à l'atmosphère totalement barrée prenant ses racines dans le blues. La suite sera encore plus expérimentale pour lui mais, comme son pote Zappa, il signe, dès ses débuts, un album aussi créatif que fou et psychédélique.
Face A
1."Sure 'Nuff 'n Yes I Do" (Don Van Vliet, Herb Bermann) – 2:15
2."Zig Zag Wanderer" (Van Vliet, Bermann) – 2:40
3."Call On Me" (Van Vliet)3 – 2:37
4."Dropout Boogie" (Van Vliet, Bermann) – 2:32
5."I'm Glad" (Van Vliet) – 3:31
6."Electricity" (Van Vliet, Bermann) – 3:07
Face B
7."Yellow Brick Road" (Van Vliet, Bermann) – 2:28
8."Abba Zaba" (Van Vliet) – 2:44
9."Plastic Factory" (Van Vliet, Bermann, Jerry Handley) – 3:08
10."Where There's Woman" (Van Vliet, Bermann) – 2:09
11."Grown So Ugly" (Robert Pete Williams) – 2:27
12."Autumn's Child" (Van Vliet, Bermann) – 4:02