Dans l'idéal, cette bande originale ne devrait pas exister. Et je ne devrais pas perdre mon temps à la chroniquer ici.
(Est-ce que je perds mon temps ? C'est une bonne question. À laquelle je préfère ne pas répondre, de peur de remettre en cause un certain nombre de mes occupations.
Bref.)


Dans l'idéal, disais-je avant d'être grossièrement interrompu par moi-même, si Steven Spielberg avait été radical, il n'aurait pu (dû ?) y avoir aucune musique dans Saving Private Ryan. En dépit de sa longueur, ce film pouvait parfaitement s'en passer. L'intensité de ses images, de sa mise en scène, de sa photographie et de son récit se suffisaient à eux-mêmes.


D'ailleurs, Spielberg a eu le bon goût de ne faire intervenir aucune note dans la scène majeure de son long métrage, la reconstitution du débarquement à Omaha Beach. C'eût été un désastre majeur s'il avait commis cet impair. Il s'en est gardé, ouf, merci beaucoup.


Mais pour le reste, alors ?
Écouter la B.O. sans les images est un exercice intéressant. À la différence de la plupart des partitions de John Williams pour Spielberg, il est presque impossible d'identifier à quels moments du film apparaissent les morceaux répertoriés sur le disque.
Même dans ses travaux les plus difficiles (Minority Report, War of the Worlds par exemple), la musique se connecte souvent à des images dans la mémoire du spectateur, par la magie de l'alchimie unissant le compositeur au cinéaste.
Elle peut aussi s'écouter seule, mais elle parvient très souvent à rappeler les visions du réalisateur, à les projeter sur notre écran mental.


Ce n'est pratiquement jamais le cas dans Saving Private Ryan. Si l'on laisse de côté le titre qui ouvre et clôt le disque (on y revient après), ce qui frappe de prime abord, c'est la discrétion absolue des compositions de Williams. Les cuivres, les basses et les roulements funèbres de caisse claire dominent, mais toujours en retrait, sans jamais s'enflammer ni monter en volume. Le résultat, très sobre, est assez touchant, mais ne laisse pas de trace majeure.


Un thème se fait reconnaître de temps à autre, assez lent et solennel (dans "Omaha Beach" et "High School Teacher notamment, mais il surgit dans d'autres titres) ; le seul récurrent, et pratiquement orchestré à chaque fois de la même manière.
Pour le reste, on est dans une sorte de musique d'illustration passive, dont la nécessité peut se questionner dans la mesure où il est difficile de se souvenir à quoi elle sert et à quel moment elle accompagne l'image.


Dispensable, donc. Mais Spielberg ne pouvait pas faire sans son fidèle Williams, rien à faire. Ni se détacher de son bagage hollywoodien, qui nécessite le recours à la musique, quoi qu'il arrive, comme narratrice complémentaire du visuel.


Reste "Hymn To The Fallen". En ouvrant le disque, ce titre trompe presque sur la marchandise, tant il est à l'opposé de tout le reste de la B.O.
Commençant pianissimo, il gagne peu à peu en puissance et en épaisseur, convoquant choeurs profonds, cordes au maximum de leur lyrisme, cuivres et vents tonitruants, et percussions en tous genres. Le résultat est une sorte d'hymne typiquement williamsien, empathique et émouvant, pas forcément subtil mais indéniablement efficace.


Pourquoi ce morceau ? Dans le film, il accompagne... le générique de fin. Aucune autre occurrence de tout le long métrage, et pour cause, il est l'antithèse de son exigence visuelle.
Mais comme c'est le titre le plus remarquable de la partition, on a le droit de le réécouter à la fin du disque (à sa juste place, en somme), histoire de bien enfoncer le clou. Et de donner des airs de grandeur à une bande originale qui n'en avait pas besoin, de même qu'elle n'avait pas nécessairement besoin d'exister.

ElliottSyndrome
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le 22 oct. 2020

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ElliottSyndrome

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