L’histoire de Shéhérazade nous vient des « Mille et une Nuits » récit issu d’une tradition orale datant de plusieurs siècles. Histoire anonyme où il est question de djinns, d’éfrits, de goules et dont il existe plusieurs versions (la première version authentifiée, d’origine indienne ou perse, date du XIIIème siècle !) Des différentes traductions, certaines incluent des épisodes ne figurant pas dans les manuscrits originaux. Quelles que soient les versions, la trame de base est la même. Le sultan Shahryar a été trompé par son épouse. Furieux, il la fait exécuter. Puis, pour assouvir ses désirs de luxure tout en poursuivant sa quête de vengeance, il épouse une nouvelle femme chaque jour pour la sacrifier au petit matin. Pour mettre fin à cette situation de terreur, la fille du grand Vizir, la belle Shéhérazade épouse à son tour le sultan. Aidée par sa sœur, elle lui raconte une histoire. Inventive, elle met le sultan en haleine mais laisse son histoire en suspens. Pour profiter de la suite, le sultan décide de lui épargner la vie jusqu’au soir suivant. Shéhérazade (narratrice dans l’œuvre écrite) déploie alors des trésors d’inventivité pour reporter la fin de nuit en nuit et finalement obtenir la vie sauve. Il semblerait que le nombre de nuits soit monté jusqu’à 1001 pour des raisons de superstition. Ce récit des Mille et Une Nuits fait la part belle à l’héroïsme, aux parfums de l’Orient et à la sensualité. L’histoire présente des personnages en miroirs avec des récits qui s’enchâssent, c’est pourquoi il est aisé d’y inclure ou non tel ou tel épisode.

Ce récit est un monument dont on connaît généralement quelques épisodes isolés, ce qui est mon cas. Le compositeur Russe Rismky-Korsakov (1844 - 1908) connu comme un des membres du « Groupe des 5 » (avec Borodine, Moussorgski, Balakirev et Cui) s’en est inspiré pour créer (1888) une suite orchestrale qui en rend merveilleusement la richesse. Rimsky-Korsakov est aussi inspiré que Shéhérazade qui se montre ensorcelante et sensuelle. Les mélodies de cette suite sont de celles qui envoûtent et qui trottent des journées dans la tête une fois qu’on les écoutées. L’œuvre comprend 4 parties illustrant différents épisodes, pour composer une histoire en musique (ce qui a d’ailleurs inspiré un ballet) :

- La mer et le vaisseau de Sinbad (Largo e maestoso – Allegro non troppo)
- Le récit du prince Kalender (Lento – Andantino – Allegro molto – Con moto)
- Le jeune prince et la jeune princesse (Andantino quasi allegretto – Pochissimo più mosso – Come prima – Pochissimo più animato)
- Fête à Bagdad – La mer – Naufrage du vaisseau (Allegro molto – Vivo – Allegro non troppo maestoso)

Rimsky-Korsakov fait merveille pour donner vie aux personnages, chacun ayant sa mélodie, sensuelle et envoûtante pour Shéhérazade, plus virile pour Aladin et menaçante pour le sultan. Ces mélodies reviennent régulièrement, au fil des péripéties, avec de nombreuses variations qui permettent à l’auditeur de se faire des impressions très visuelles.

Le début est musclé, à l’image des efforts d’Aladin pour lutter contre la tempête : mer agitée et rafales de vent. Rapidement, la douce voix de la narratrice intervient avec le violon : mélodie apaisante et merveilleuse à la séduction immédiate. La tension monte et le violon fait entendre une nouvelle mélodie. La couleur orientale est accentuée par les interventions des hautbois et clarinettes. Les cordes et l’orchestre interviennent de façon plus classique.

Le second mouvement débute avec un dialogue entre la harpe et le violon solo. Puis, avec les bois et les cordes notamment, Rimsky-Korsakov traduit merveilleusement l’inventivité narrative de Shéhérazade. Cet épisode regorge de rebondissements traduits par les dialogues entre les différents instruments et l’orchestre.

Le troisième mouvement raconte avec fraicheur et enthousiasme une belle histoire d’amour.

Le quatrième mouvement est plus énergique pour décrire la fête à Bagdad. Les trompettes se font entendre. Sur la mer, Sinbad affronte toujours les éléments, jusqu’au drame. Mais la voix de Shéhérazade, apaisante, revient pour clore l’œuvre.

La version ici présentée date de 1960, avec Fritz Reiner dirigeant le Chicago Symphony Orchestra. Prise de son stéréophonique de qualité qui permet de profiter correctement d'un enregistrement de référence. Fritz Reiner avait la réputation d’un homme excessivement calme et peu expressif. Il dirigeait à l’économie, l’essentiel passant dans les regards, obtenant exactement ce qu’il voulait : l’expression même d’une main de fer dans un gant de velours. Le violon solo, Sydney Harth fait merveille à l’image des autres instrumentistes. Mon seul regret vient de la direction de l’orchestre lui-même, le rendu est parfois un peu trop mécanique à mon goût.

Pour ceux qui veulent se faire une idée de ces 45 minutes de bonheur musical :

1er mouvement : http://www.youtube.com/watch?v=dgo-IzDdVeo
2ème mouvement : http://www.youtube.com/watch?v=ByVhN7YGtSw
3ème mouvement : http://www.youtube.com/watch?v=mmDSYrccLk0
4ème mouvement : http://www.youtube.com/watch?v=0RX9Bhps-SQ

Ma note ne concerne pas le complément de programme « Song of a nightingale » de Stravinsky.
Electron
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le 1 janv. 2014

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