Schlagenheim
7.4
Schlagenheim

Album de black midi (2019)

Chaos et création dans la cour du lycée

Le problème quand on est né la même année où Elvis a explosé au visage du monde entier, quand on a eu 15 ans en explorant le labyrinthe strident de "White Light, White Heat", 20 ans au moment où les punks inventaient une nouvelle manière de faire de la musique, c'est qu'on s'imagine à jamais que le Rock ('n'Roll ou pas...) est capable de se renouveler éternellement. Qu'être à l'avant-garde, musicalement, socialement, politiquement, fait fondamentalement partie de ses gènes. Du coup, on attend. On attend de la nouveauté, de l'imagination, voire même des révolutions, aussi petites soient-elles. Et du coup, année après année, on se mange des déceptions, des désillusions même, devant une jeunesse tellement occupée à suivre les règles du jeu, à vénérer des musiques mortes qui ne disent plus rien depuis une éternité, à tenter de devenir célèbres en appliquant des recettes établies, qu'il nous arrive de penser que NOTRE musique est belle et bien morte.


Et puis, de temps en temps, l'espoir renaît. Éphémère presque toujours, mais tellement, tellement rassérénant. Comme cette année quand on tombe sur "bmbmbm", ce morceau ahurissant de très jeunes Anglais qui semblent, en toute innocence, faire table rase de presque tout ce qui a été fait auparavant pour reconstruire une musique excitante, intrigante, malfaisante. Incompréhensible presque, mais tellement enivrante.


Il est hilarant de nous voir tous aller puiser, comme remède à une désorientation qui nous est devenue inhabituelle, des références aussi variées qu'absurdes : le free jazz, les Talking Heads de "Remain in Light", The Fall bien sûr - facile et branché -, etc. Pour ne pas reconnaître que la claque que nous assène "Schlagenheim" est en fait aussi sévère qu'inespérée.


Oh, tout l'album ne dispense pas le plaisir instable et l'inconfort fécond de "bmbmbm", et il est permis de s'ennuyer un peu quand Black Midi s'égare dans des morceaux trop longs ("Western"), où l'improvisation qui sert de point de départ à la construction de chaque pièce semble en être restée au stade de l'errance. Où l'on peut avoir l'impression d'entendre des chutes embryonnaires d'un album de King Crimson sur lequel Robert Fripp aurait délibérément oublié tout ce qu'il avait jamais su sur la guitare. Mais quand le graal de l'extase n'est pas atteint, il reste toujours chez Black Midi le sombre vertige de l'inquiétude. De l'in-quiétude. De l'in-confort. Et, honnêtement, comment en vouloir vraiment à des gens qui "cherchent", qui inventent de manière aussi obstinée ?


Il faut évidemment parler de la batterie de Morgan Simpson, soit l'une des choses les plus brillantes que l'on ait entendues sur un album de Rock depuis des décennies. Ce jeu de batterie, qui évoque autant les grands maîtres du jazz que la folie irrévérencieuse d'un Keith Moon, peut parfairement être pour certains la principale raison d'écouter "Schlagenheim", et c'est très bien comme ça. On doit aussi mentionner la voix de poulet étranglé, le phrasé maniéré au-delà de toute bienséance de Geordie Greep, alors qu'il récite et répète les mêmes mots dérangés comme une I.A. défectueuse, ou bien alors qu'il se lance dans une réinvention de la provocation de P I.L. revue par un Mark. E. Smith encore lycéen : nombreux sont ceux qui pourront trouver ça détestable, mais plus nombreux encore seront ceux qui s'étonneront que l'on puisse ainsi bafouer impunément toutes les règles existantes.


Mais il faut finalement reconnaître que "Schlagenheim" nous offre l'une des musiques les plus excitantes de cette année. "953" est ainsi une tentative enfin aboutie d'inséminer la munificence post-punk dans le chaos du XXIe siècle. "Near DT, MI" prouve que l'on peut chanter des "protest songs" colériques en prenant note du travail de sape effectué par Radiohead. "Years Ago" réaffirme avec une arrogance déraisonnable qu'on peut, oui, faire de la Musique là où on a oublié comment se fait de la musique...


Grâce au premier album de Black Midi, 2019 restera donc finalement l'une de ces années à marquer d'une pierre blanche, l'un de ces moments inoubliables où le Rock est redevenu brillant, passionnant. Risqué. Inattendu. Flou. Indéfini. Où tout a semblé, une fois encore, possible.


[Critique écrite en 2019]

EricDebarnot
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le 31 août 2019

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Eric BBYoda

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