The complete story of a Self Portrait painted in a New Morning watching the Nashville Skyline.
Self Portrait est incontournable pour comprendre l'œuvre de Bob Dylan. Comme une synthèse, un regard porté sur lui-même, l'album est une preuve téléologique de l'existence de Zimmerman.
Constitué de reprises aussi absurdes (Paul Simon, Frank Sinatra) que réussies ("Let It Be Me", "Days of 49", "Copper Kettle"), le disque est en apparence influencé par des envies de retour à la folk et à la country. Pourtant, en creusant, l'on comprend que Dylan ne fait absolument pas machine arrière en traversant cette période du barde « la-la-la-laaaaaaaa » de la fin des années 60 : il avance, trace sa route, chemine. Le triptyque Nashville Skyline-New Morning-Self Portrait l'incarne bien.
Que cet album soit le fruit d'une blague comme les Chroniques le laissent entendre, qu'il divise plus qu'il ne rassemble la critique, qu'il soit jugé bon ou déchet par l'auteur lui-même, Self Portrait est une plongée dans le Je(u) dylanesque, une introspection en l'état. Mais encore, il s’agit d’une réponse à toute la haine qu'on a pu déverser sur lui, une réponse à la folie passionnelle qu'on lui a voué.
Bob Dylan agite son ego tel un peintre travaille les couleurs sur sa palette. Il reconnecte avec la musique qu'il aime, musique que le Bob Dylan de la fin des années 60 n'avait, disait-on, plus le droit apprécier.
Le nom de l'album est à mes yeux le trait le plus brillant de cette création, le meilleur choix d'appellation de disque parmi tous. À la lumière de l’évidence de la pochette, le disque cherche à accorder ces moments rares où l’on se prend à passer du temps devant son miroir (celui de Dylan ou le notre?), essayant d'apprécier les plus honnêtes réflexions livrées sur soi-même, au delà de ce que notre propre Je chercherait à renvoyer. Loin de nous l'idée que tous ces morceaux puissent titiller les #1 charts des précédents albums. Mais loin de l'auteur l’envie de tout cela. La démarche est littéralement géniale, l'œuvre est rare, l'album est unique.
Après des années d'écoute de Dylan, les morceaux qui ont trouvé – ou retrouvé – sens à mes yeux valent désormais plus que ses plus grandes réussites acclamées unanimement... mais pour des raisons jamais similaires.
Peut-être Self Portrait est-il un tout : impossible d'élaguer une partie quoique l'on pense de certains ratés ou de certaines réussites. Se lever un matin, ressentir derrière les microsillons toute la délicatesse et la sincérité d'un homme torturé tentant de jeter un regard différent sur cette face obscure de lui, face qui devient claire par la sympathie bucolique du barde à la barbe.
"Little Sadie", "Copper Kettle", "Alberta #2"... Regardant ces quelques morceaux et le disque en son ensemble dans le contexte des bootlegs, Self Portrait est à la croisée des chemins à plus d’un titre : il utilise également du matériel de Nashville Skyline, Pat Garret & Billy the Kid ("Wigwam") quand "Quinn the Eskimo" provient des Basement Tapes. A cette curieuse soupe l’on prendra soin d’ajouter une pincée de live à Wight. N'y aurait-il pas un peu de Bob Dylan contemplant cette collection, cette construction antérieure, puis interrogeant cyniquement son public de sa voix mordante et nasillarde : “Oh yeah, you all love me so much? Well here’s this whole other side of myself that I’ve never released to anybody, time to see if you still love me after that”.
Bien entendu, il se moque éperdument de notre réponse.
C'est comme ça, Dylan. Tout le monde l'aime mais personne n'aime tout de lui.