Comme souvent, dans toute composition gémellaire, il y a le bon et le mauvais jumeau. Si Junior avait précipité en son temps le duo norvégien dans une dance kitsch d'un goût douteux, les premières écoutes de Senior nous démontrent que Röyksopp a retrouvé la lumière. Album de la maturité, ce dernier envisage tout ce que le groupe a pu expérimenter musicalement depuis son premier disque, l'inoubliable Melody A.M. Senior s'assimile ainsi à un pot-pourris aux odeurs sensiblement différentes, mais qui au final délivre une senteur fortement enivrante. Retour sur cette composition musicale bigarrée dont le parfum risque de faire tournoyer bien des sens.
Attention, pénétrer dans l'univers de ce Senior risque de laisser quelques esprits prisonniers de cieux trop élevés tant l'univers envisagé sur ce disque semble s'être délesté du poids de la gravité. En bonne et due forme, ce voyage céleste débute par le très atmosphérique « And The Forest Began To Sing », une introduction vers un décollage imminent.
En effet dès le second titre »Tricky Two », l'identité électronique du binôme norvégien se révèle au gré d'un beat au diapason terriblement efficace, ornée de nappes sonores oniriques, soutenant parfaitement le tempo d'une électro de plus en plus agressive. Transi par ce voyage à la vitesse de la lumière, on reprend difficilement ses esprits... La suite « The Alcoholic » relâche heureusement la pression tel un « pchit » de canette de boisson gazeuse. Tout en progression, ce titre propulse l'auditeur dans une apesanteur qui ne le lâchera plus jusqu'à la fin du disque. Entre basses profondes et distorsions sonores, Röyksopp renoue sur cette piste avec son goût pour une mélodie pop bien sucrée, et sempiternelle dans la ritournelle qu'elle impose.
En avançant dans ce voyage auditif on admire les prises de risque du groupe, ce dernier n'hésitant pas à se remettre en cause et à s'ouvrir vers de nouveaux univers musicaux, comme sur « Senior Living » et sa guitare solennelle, qui n'est pas sans nous rappeler les westerns spaghettis chers à Ennio Morricone.
Aux ambiances cinématographiques se juxtaposent d'autres titres révélant les affects constitutifs de l'identité « Ambiant-Electro » du groupe. Tel que le très entraînant « The Drug », hymne à l'électro minimale, jouant du contre rythme pour mieux relancer son inlassable beat... Dance floor quand tu nous tiens !
A la différence de son aîné Junior, Senior délaisse le chant pour se concentrer uniquement sur le son. Un parti pris artistique qui fait toute la force de cet album, et qui démontre que le duo norvégien s'est enfin réconcilié avec son amour pour l'expérimentation musicale. Comme en témoigne le transcendantal « Forsaken Cowboy », dont l'envolée lyrique soutenue par un chœur enchanteur n'est pas loin d'aboutir à l'orgasme auditif.
Ravis par toute cette bonne volonté, on se dit que Röyksopp est de retour, mais pas seulement... Senior fait partie de ces albums sur lesquels chaque piste participe à l'harmonie artistique de l'objet, révélateur au final d'une identité reconnaissable entre mille. Un disque qui doit s'écouter dans son intégralité pour être pleinement apprécié, en même temps qu'il peut s'envisager vers une écoute plus fragmentée, orientée par des joyaux (« The Alcoholic », « Forsaken Cowboy »...) dont l'éclat n'est pas près de s'affaiblir.
En bref : Senior démontre que Röyksopp renoue avec un son plus expérimental, délaissant les structures « dance » calibrées pour le dance floor, avec lesquelles son prédécesseur Junior composait. Sans oublier ce qui a fait son succès, à savoir des mélodies accrocheuses et diablement enivrantes, Röyksopp signe avec ce Senior un grand disque de musique d'ambiance, dans lequel l'électronique épouse à merveille l'instrumental.