Taking off, premier long métrage américain de Milos Forman paru en 1971, marque la continuité d'un cinéma initié par Easy riders, à la fois engagé et contemplatif, sociologique et politique. Le sujet du film, l'observation du clivage naissant dans la société américaine des année 60, entre deux générations, celle issue de l'après guerre 39-45, bercée par le rêve américain, et celle du mouvement hippie, erzath de cette masse endoctrinée par le dogme du consumérisme.
Pour tenter de raconter ce phénomène sociologique, Forman va opter pour la vision d'une sphère intimiste. Et ce en suivant la relation non moins chaotique d'un couple quadragénaire et de leur fille adolescente, qui vit ses premiers instants dans une nouvelle communauté en marge de la société, les hippies.
La force du film réside dans le fait de ne jamais stigmatiser tel ou tel comportement, que ce soit le réactionnaire réfractaire aux changements où le hippie utopiste condamné à vivre dans la rupture, la caricature de ces archétypes anthropologiques n'en devient une que par l'esthétisme itinérant à la forme dans laquelle s'accomplit ce témoignage, c'est à dire le cinéma.
C'est ainsi que cette fiction (et le mot peut paraître trompeur) réussie le paris de se muer en véritable témoignage, quasi ethnographique, d'une réalité sociologique fécondatrice en substance du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui.
Forman commence ainsi par filmer un groupe de jeunes gens, qui les uns après les autres, auditionnent dans un concours de musique pas si éloigné des productions télévisuelles actuelles (Star ac, nouvelle star...).
Ces adulescents, ne prennent ainsi jamais la parole, préférant la forme du chant pour exprimer leurs états d'âmes. Les scènes de casting viennent ainsi ponctuer le film dans son ensemble, et portent de manière sous-jacente, la dimension critique du film. Car au travers de l'exercice du chant se dessine en filigrane le rejet d'un monde capitaliste. C'est le cris porté par ses âmes en péril, déphasées avec la réalité qui les entoure si bien idéologiquement que philosophiquement .
Avec ce subterfuge, Milos Forman évite l'écueil du préjugé dans sa retranscription de l'univers hippie, lequel est trop souvent affublé d'une définition caricaturale dans ses aspirations de liberté.
En parallèle, se tient le « vrai monde », celui de ces parents déstabilisés par une nouvelle tendance, qui phagocyte leurs progénitures jusqu'à la coupure de leur lien ombilical. C'est ainsi qu'un père, Larry, part à la recherche de sa fille Jeannie, disparue depuis quelques jours. La pérégrination du pater dans les rue de New-York est le moment pour le spectateur de constater physiquement la coupure sociologique de deux univers bien distincts mais réciproquement interpénétré, l'un est uniforme, l'autre subversif.
Devant cette incompréhension d'une réalité qui le dépasse totalement, le père reste abasourdi, un état qui ne le quittera plus jusqu'au final du film.
Taking Off va alors opérer un véritable contre pied au travers d'une séquence qui résume à elle seule l'entreprise critique du film.
Suite à l'échec essuyé par Larry dans la recherche de sa fille, ce dernier via une rencontre fortuite avec une mère désabusée de vivre la même situation, va participer à une conférence sur l'objet qui soi-disant est le maux de cette révolte idéologique qui touche la jeunesse américaine, la marijuana.
Toute la pertinence du film tient dans cette séquence, véritable exercice d'observation participante. Le message alors évoqué se traduit ainsi. Pour comprendre ce que ressentent vos enfants, il vous faut vous aussi essayer cette substance maligne et transgressive.
Les effets de la drogue sur ces derniers vont se traduire comme une libération de leurs corps et par extension de leurs esprits (scène du striptease). Cette séquence, allégorie d'une enfance perdue, démontre que la société de consommation dans laquelle ils ont cru s'épanouir, les retient en fait par ses chaînes. C'est un Léviathan contre lequel on ne peut rien et contre qui on ose rien. Générant ainsi une aboulie émotionnelle.
Bien que le film ait maintenant une quarantaine d'année, il n'en reste pas moins fortement actuel. Au delà de son message politique, Taking Off permet aussi d'appréhender ce que sera le futur cinéma de Milos Forman. Une cinématographie basée sur un être différent, en rupture avec les autres, car il ne navigue pas sur les mêmes vérités idéologiques, politiques, philosophiques...
Mais pourtant ce protagoniste finit toujours par prendre le dessus d'un univers à priori hostile, avant que ce dernier ne le rattrape lorsqu'il en a épuisé les ressources (Vol au dessus d'un nid de coucou, Amadeus, Larry Flint). Et qui enfin le précipite dans un non sens existentiel, exacerbé par une réalité construite selon une certaine représentation, qui peut prend la forme d'un asile où nous demeurons tous plus que jamais en péril, tant que l'on ne s'est pas accommodé de ses principes fonctionnels. Comme le disait Michel Foucault le fou c'est l'autre de la raison que la raison ne veut pas...