The King of Limbs par boudanight
Bientôt quatre années se sont écoulées depuis la parution de In Rainbows, une longue période de gestation durant laquelle Radiohead préparait secrètement son nouveau bébé. Au final un opus construit autour de huit pistes, proposant à l'auditeur un éphémère voyage, dans un monde où le temps semble pourtant s'être suspendu.
Si ce nouvel album dénote la même fugacité qu'un rêve, telle une fulgurance de l'esprit dans un corps inanimé, il en porte aussi la même aura. Une fois pénétrer à l'intérieur de cette chimère, le décors n'est ainsi jamais le même. Ce dernier se transformant à l'infini sous l'impulsion de notre imagination, guidée par une myriade de sons, traçant le chemin de la fidèle amie Mélodie, tel un fil d'Ariane, que l'on suit aveuglément dans cet univers labyrinthique.
L'initiation à ce périple débute par une éclosion Bloom ,tel un bourgeon fleurissant sur la branche de l'arbre en renaissance. Morceau introductif aux élans jazzy, corrompu par un beat électronique, qui brouille les cartes pour mieux les redistribuer. Car rapidement on entrevoit la densité du paysage sonore que nos oreilles tentent d'arpenter. L'utilisation d'un panel élargie d'instruments, servant à féconder un espace, où nos corps entrent en apesanteur dès lors que l'on se laisse porter par les nappes oniriques, orchestrées par la bande d'Oxford. Piano, violon, trompettes, font échos aux guitares, basses, batterie, sur fond d'électronique, structure intempestive qui malmène nos oreilles dans une profusion de couches mélodiques qui s'emboîtent les unes sur les autres.
La force de cet univers musical, est de proposer une cohérence, dans laquelle l'alliage des sons tel celui de différent matériaux, offre au final une unité parfaitement harmonique même si chacune des parties qui la constitue sont hétérogènes. Cette alchimie spécifique à Radiohead ne serait être sans un arrangement sonore méticuleux, dans lequel les talents de production et de mixage de Nigel Godrich font encore merveille.
Chaque morceau de l'album se veut ainsi d'une extrême richesse polyphonique, dont seules les oreilles les plus aguerries pourront en saisir la parfaite justesse. De nombreuses écoutes sont ainsi nécessaires pour entrevoir les plus petites unités sonores qui donnent tant de résonance à ce disque.
Si vos écoutilles sont un temps soit peu paresseuses, passez votre chemin. The King of Limbs ne prend réellement tout son sens que dans un temps prolongé et répété de l'écoute. Il faut ainsi se laisser happer à l'intérieur des pistes, laisser rebondir en soi la résonance des sons, pour saisir dans ce flots d'informations musicales, la structure mélodique des morceaux. Comme un rêve , cet album doit s'interpréter pour faire sens, si on ne le mystifie pas, seul reste un sentiment vague et confus que notre mémoire a bien du mal à se signifier.
Exercice intellectuel ou pas, la musique reste au demeurant une affaire de sensibilité... mais critique malgré elle. Elle analyse, sélectionne, rejette, en somme elle travaille, bien que ce labeur soit inconscient, seul son écho parle à l'auditeur. En terme d'harmonie musicale un son isolé n'est rien. Ce n'est que par sa relation avec d'autres sons que ce dernier participe à la création de ce que l'on nomme mélodie. Dans cette logique plus la mélodie est constituée de sons plus elle est difficile à appréhender, car le souvenir de la première note entendue doit réussir à se corréler avec d'autre plus distancées dans le temps, afin d'offrir un sens à cet ensemble sonore, et donc une harmonie.
Pour ce qui est des outils sonores employés sur ce disque Radiohead ne surprendra personne. Beat électro, effet de reverb , superposition de chants en simultané via le vocoder, infra-basses, sont autant de tours que Radiohead avait déjà jadis sortit de son sac... Mais la magie opère toujours. Certes la musique de Radiohead ne surprend plus par sa capacité à rompre ses propres carcans ( ce qui longtemps fut le principal leitmotiv du groupe), mais celle-ci se veut plus aboutie et mieux maîtrisée dans sa composition. Tout en continuant à offrir des nappes sonores très expérimentales, Radiohead conserve cet art de la mélodie imparable, qui a fait sa renommée. Même si on est plus proche de l'abstraction d'un Kid A que de la pop d'un In Rainbows, ce nouvel album redéfinit le schéma classique couplet-refrain, pour nous perdre dans des explosions lyriques portées par la voie caméléon de Thom Yorke.
Au final seule la courte durée de l'album pourrait être critiquée, si bien ( et c'est peut être la principale réussite de ce disque) que ce dernier nous laisse cette étrange impression d'avoir vécu un rêve. Éphémère et irréel, il continue cependant de trotter dans notre tête, comme si notre imagination ne pouvait plus s'en défaire. On garde alors ce doux sentiment de nostalgie, d'un moment insaisissable mais pourtant éprouvé, durant lequel le temps s'est suspendu devant l'éternel, bien qu'il fut fantasmé.
Sur le dernier morceau Separator Yorke ne cesse de répéter que l'on doit le réveiller d'un rêve éprouvant, fatiguant. On voudrait cependant qu'il continue de rêver, afin de nous faire partager d'autres songes, que seul Radiohead est capable d'exprimer de la sorte. Espérons seulement que leur prochain rêve ne dure pas des années...