Seppuku
7.3
Seppuku

Album de Taxi Girl (1981)

Diamant noir oublié du rock français...

Taxi Girl
Groupe parisien formé en 1978 autour de Mirwais "Stass" Ahmadzai (guitare), Laurent "Sinclair" Biehler (claviers), Daniel "Darc" Rozoum (chant), Stéphane Erard (basse) et Pierre Wolfsohn (batterie). En clair une bande de cinq potes de lycée qui ont monté un petit groupe en pleine vague punk, qui déferlait alors sur toute l'Europe. Rejoints par Alexis "The Man Behind" Quinlin, co-fondateur du club parisien "Le Rose Bonbon", au management. Le groupe devient de plus en plus intéressant et publie deux maxi en 1980 : "Mannequin" d'abord, puis surtout "Cherchez le Garçon", qui comme chacun sait fait exploser la popularité du groupe. Ce premier succès sera dévastateur dans le sens ou Taxi Girl perdra deux membres : Stéphane raccroche sa basse, de moins en moins intéressé par le rock'n'roll, Pierre meurt d'une overdose en tout début d'année 1981. Deux pertes qui mettraient à mal n'importe quel autre groupe. Sauf Taxi Girl.


Mi 1981, le groupe réduit autour du trio Daniel/Laurent/Mirwais s'embarque dans la conception d'un album (l'unique, en fait). Ayant plusieurs nouveaux titres en stock, le groupe décide d'enregistrer les démos en compagnie de Maxime Schmitt (producteur des deux premiers maxi) et d'une section rythmique. Le résultat est intéressant, mais Daniel et Laurent veulent changer de style. Pour cela, ils sont d'accord pour faire appel à un nouveau producteur. En grand fans du Velvet, Mirwais et (surtout) Daniel tentent de contacter John Cale. Après un premier contact, Laurent insiste pour Jean-Jacques Burnel, le bassiste (d'origine française) des Stranglers. Aprés accord commun du groupe, c'est finalement Burnel qui est choisi. L'album est mis en boite entre septembre et novembre 1981 aux studios "Air" de Londres et "Aquarium" de Paris. Taxi Girl fait appel a une toute nouvelle section rythmique pour l'enregistrement de l'album : Jet Black (échappé des Stranglers) à la batterie et Philippe Lemongne à la basse (ce dernier restera fidèle au groupe jusqu’à la fin). Alors que les démos produites au début de l'année sonnent très portées sur les guitares, la production très rentre-dedans de Burnel privilégie les claviers, ce qui rend jaloux Mirwais et qui est expliqué par Daniel dans le sens ou Laurent et le producteur sont devenus très complices pendant l'enregistrement du disque. Toujours aussi peu enthousiaste envers la production, Daniel fera souvent remarquer son désamour pour cet album dans de nombreuses interviews postérieures (celle des Inrocks 89 est sûrement la plus marquante). Il décide de s'inventer un nouveau pseudo pour ne pas avoir a signer les chansons de l'album avec son propre nom. Ce projet d'album, titré jusqu'alors "John Doe 85" est censé être envisagé comme une "série noire" par la musique et les textes de Darc. Biaisé par la production de Burnel, le thème est légèrement aseptisé. Le groupe décide de changer le titre du disque ("Seppuku"), en référence à Mishima, l'auteur japonais suicidé par seppuku justement, qui fascine tant Daniel et qui plait aussi bien à Laurent. De manière générale, l'album n'est pas si édulcoré que ça. Même si la musique parait sautillante et évoquant toujours un heureux mélange de Magazine, de Joy Division et de Kraftwerk, les textes et les sujets abordés par Darc sont sombres, aussi noir que la nuit peut l'être sans la lune : délires malsains à la Aleister Crowley ("Viviane Vog"), références au meurtre de Sharon Tate par la secte Charles Manson ("John Doe 85", le nom donné au témoin anonyme qui aurait assisté au meurtre depuis sa voiture), le "chant des enfants morts" ("Les Damnés"), références aux publications morbides de "Série Noire" ("Treizième Section"), etc, etc... La chanson "Les Armées de la Nuit", en plus de faire vaguement référence au film quasi-éponyme (Les Guerriers de la Nuit) de Walter Hill évoque en fait le public du Rose Bonbon. "Musée Tong" démontre l’intérêt porté par Daniel et Laurent à la littérature et à la BD avec ici une belle référence au personnage du Dr. Fu Manchu. Enfin, la chanson "Avenue du Crime", sorte de ballade déprimante fut composée par un side project de Laurent avec Fred Chichin (le futur guitariste de Rita Mitsouko).


On ne se trouve pas ici en présence d'un de ces disques de pop plus ou moins sucrée qui pourtant peuplent la plupart des charts français à cette période. Seppuku est un album très intéressant : c'est l'un des rares bons albums de rock français (aux accents new wave) avec un son et une identité propre. L'album sort en janvier 1982 mais ne marche pas vraiment. Soutenu par une poignée de journaux spécialisés (le groupe fait la couverture de Best), l'album peine à trouver un public, qui s'attendait plutôt à quelque chose de simple et de pop, tout comme l'a pu être "Chercher le Garçon". Au lieu de ça, ils se retrouvent avec un disque hermétique entre les mains, et ce au sens figuré comme au sens propre : dans sa toute première édition française, le disque était coincé dans la pochette et il fallait ouvrir soi même l'un des quatre bords avec une lame de rasoir (que Darc voulait inclure dans le cellophane du disque, idée évidemment rejetée par Virgin) afin de pouvoir accéder au disque. L'acte de seppuku était donc forcément infligé au disque par l'acheteur. Toute cette histoire de lames de rasoir n'est pas sans rappeler le célèbre "incident" ayant eu lieu au Palace en décembre 1979 lors du concert de Taxi Girl en première partie des Talking Heads. Daniel Darc trouvant le public inexpressif décida de se trancher les veines du bras sur scène, quitte à éclabousser le public (et les musiciens, Mirwais en parlera quelques années plus tard pendant une émission des Enfants du Rock).


Le groupe s'embarque en tournée dés 1981 en tant que première partie des Stranglers (une version anglaise de l'album sort au même moment). Taxi Girl tourne donc en Angleterre un moment puis continue une tournée en tant que tête d'affiche pendant une bonne partie de l'année 1982. Les morceaux sont à cette époque joués à toute allure, le son du groupe approche de celui du groupe synth-punk Suicide (cf le concert à Cannes, dispo sur youtube). En mai 1982, le groupe triomphe au Casino de Paris. Ce sera l'un des tout derniers concerts dignes de ce nom de Taxi Girl. Après ça, le groupe s'octroie de longues vacances. Tout début 1983, Daniel et Mirwais décident de virer Laurent et de poursuivre l'aventure en duo...


Au final, Seppuku reste un excellent album. Bien que la production aie un peu vieilli aujourd'hui, il reste un excellent testament de cette recherche sonore qui marque ce début de décennie 80. Une sorte d'album concept "série noire", uni dans le son par JJ Burnel et dans les images par Daniel Darc. Un diamant noir du rock français. Peut-être pas aussi auto-destructeur que le Play Blessures de Bashung, aussi poétique que le Alambic/Sortie Sud de Thièfaine ou aussi rock'n'roll que le Rue de Siam des Marquis de Sade, mais un excellent disque de rock français quand même.

Blank_Frank
9
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le 11 mars 2017

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