Avec un nouvel album au look de vieux pot pour une meilleure soupe, Tyler et ses sbires se sont mis en tête de houspiller leurs racines. Une initiative comme on en attendait plus de la meute du jeune loup texan, et qui pourrait bien se révéler salvatrice. Inspection des troupes.

« Ces racines sont profondes » et « si tu ne te vends pas, quelqu’un d’autre s’en chargera pour toi » sont deux refrains présents sur Shake the Roots, nouveau-né de Tyler Bryant & The Shakedown. Tyler Bryant, en voilà un objet d’étude intéressant. Pour faire les choses correctement, néanmoins, il nous faut revenir au début. La petite histoire prend sa source dans une rumeur urbaine comme seul le sud américain aime encore en faire courir. Celle d’un jeune parisien (le Paris du Texas, celui de Wim Wenders et Harry Dean Stanton) surdoué du manche fretté, prodige du blues et prolongement d'une lignée ayant engendré Billy Gibbons et Stevie Ray Vaughan. Un bourgeon prometteur adoubé par la papauté lors d’une tournée en première partie de Sa Sainteté Jeff Beck, pour ensuite bourlinguer avec Aerosmith (on y reviendra), BB King, AC/DC, Guns N’ Roses, Pat Benatar, Skynyrd et Joe Bonamassa, excusez du peu. Car le jeune Tyler est un bosseur. Trente-et-un printemps pour une quinzaine d’années de carrière à l’heure où nous pianotons ces lignes, voilà qui ne prête guère à la gaudriole.

Or, même en étant survendu par un bouche à oreille hyperbolique, le spécimen offrait de belles surprises. Sa voix à la fougue juvénile, pour commencer, plus délicate que le commun des blueseux, habitant un physique dont la beauté gracile rappelle Jeff Buckley, avec ce visage qui aurait fasciné Velàsquez. Côté tricot, on constatait que le jeune éphèbe se défendait très solidement, tout particulièrement à la slide, dont l’Open de Sol (accordage cher aux amateurs de Delta blues) formait la colonne vertébrale de son premier LP, le bien nommé Wild Child. S'il n'évitait pas une bavure ou deux (Still Young), l'album proposait surtout une tripotée de grenades blues rock efficaces (House on Fire, Downtown Tonight, You Got Me Baby), relativement exemptes des oripeaux faussement pittoresques auxquels tant d’artistes du genre ont l’habitude de s’accrocher, comme à des reliques d’une mythologie qui n’attendrait pourtant que d’être transcendée avec un peu d’hubris. Hubris qui, sans être la qualité la plus notable de Tyler, ne l’empêchait aucunement de s’imposer en douceur, grâce à une écriture dynamique ramenant ses chansons à l’essentiel et un charisme humble, recours bienvenu aux poses de bellâtre tourmenté de John Mayer comme aux épanchements érudits d’un Bonamassa. Des textes parfois un peu clichés, certes, mais sur le marché du rock, c’est à peine un délit. Flanqué de Caleb Crosby aux fûts et secondé à la six-cordes par Graham Whitford, fils de l’autre guitariste d’Aerosmith (celui qui n’est pas Joe Perry) ayant visiblement hérité de la fluidité taciturne de son paternel, Tyler semblait donc avoir fait une entrée remarquée dans le game.

Pourtant, ses travaux suivants n’avaient jamais totalement reconduit cet enthousiasme. En cause, la priorisation croissante d’un boogie rock lourdingue et trop formaté, diluant cette rusticité blues qui faisait pourtant le sel des compositions. Les titres exclusivement ou partiellement acoustiques se révélaient toujours séduisants (Devil’s Keep, Ramblin' Bones, Misery, Coastin') mais n'étaient plus au centre des festivités. De fait, le son désormais bien grassouillet du Shakedown se rapprochait toujours un peu plus de ce heavy blues radiophonique ultra-calibré dont Spotify adore gaver ses playlists aux titres désespérants comme « rugged new rock » ou « the dirty sounds of modern blues ». Soit l’équivalent rock de ces jeans de designer hors de prix vendus avec une usure simulée et des déchirures millimétrées en atelier, histoire de looker la bourgeoisie qui voudrait aussi avoir l’air un peu trash. Pire encore, le fadasse Pressure, succédant au passable Truth & Lies, avait réussi à nous faire craindre que ce qui pourrait arriver de mieux à Tyler et ses copains serait d’être une alternative subtile à, mettons, Black Stone Cherry. Certes, on relevait toujours un single sexy par-ci par-là (On To The Next, Loaded Dice & Buried Money, Don’t Come Cheap), mais on commençait à se résigner en se disant qu’il valait mieux ne rien espérer de plus.

Et voilà que débarque cette nouvelle cuvée, avec un titre se donnant pour mission de chahuter de la radicelle et une pochette listant tout un attirail southern rock, version 1968-1974. Voyez plutôt. Cette photo en extérieur devant des arbustes flous, ce dobro terni, ce gris beige tirant sur le brun parcheminé d’une blague à tabac. Ce lettrage digne d’un bootleg des Allman Brothers et oh bordel de merde, il y a même la durée d’écoute dans le coin en haut à droite ! Mais cessons de jouer les commères de boulevard et posons la seule question essentielle. Comment tout cela sonne-t-il ? Une fois encore, l’un des traits immédiatement appréciables de la formation est son sens de l’épure. Sur les douze titres qui composent ce nouvel album, un seul dépasse les quatre minutes et deux s’arrêtent avant la troisième minute. Les élans de virtuosités très condensés réservent les jams prolongées à la scène. En plus d’éviter l’ennui chez ceux qui auraient tendance à bâiller pendant les solos, on maximise l’impact des moments ou les doigts s’emballent. Les textes ne sont toujours pas le genre de sagesse qu’on graverait dans du marbre, mais il est raisonnable de supposer que personne ne s’en formalisera. Les compositions sont resserrées et peu complaisantes, des denrées rares dans un style poussant les guitar heroes à rouler des mécaniques. Les gars du Shakedown, eux, vont droit au but en avançant soudés, avec aussi peu de bouffissure que possible.

Sans surprise (et ce n’est pas un reproche), les titres les moins saturés sont parmi les plus plaisants. Que ce soit Bare Bones, qui ouvre l’album avec une pétulance gospelisante, Hard Learned et son sertissage de cordes et de chœurs très seyants, ou Ain’t None Watered Down, qui oscille entre une rythmique à la Creedence et un refrain bluesy sur lequel la voix de Tyler est comme un poisson dans le whisky. Même Good Thing, desservie par son refrain fleur bleue, parvient sur ses couplets à dandiner du fondement avec un certain charme boueux. Midnight Oil est un efficace final dont le swing country rock permet au groupe de montrer ce qu’il sait faire de mieux. Les guitares sont délicieusement granuleuses, les riffs claquent, les mélodies vont droit au but, la section rythmique cabriole avec aisance, bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des bayous. N’étant personnellement pas un mordu de southern rock, je suis forcément moins conquis par Tennessee qui, comme l’indique son titre, est le genre de rengaine sudiste qui insiste. Vraiment. Rien, absolument rien, il faut le savoir, rien du tout, mais rien, décidément, rien, rien au monde, non rien, rien de rien, je regrette, rien ne vaut Nashville, Tennessee. Le genre de sentimentalisme yankee à l’ancienne qui aura une prise moins assurée sur nous autres rejetons de la vieille Europe. Mais passons, car la chanson n’est pas foncièrement mal troussée dans son genre un peu vétuste.

Si l’on cherche le rougeoiement des potards, Ghostrider, Shackles et Sunday No Show sont moulés dans ce bronze ténébreux qui donnait bien du charisme à Soundgarden, avec toutefois un ingrédient à nuancer. En filant la référence, on se rappelle que le charbon rythmique du Jardin Sonore atteignait son point de combustion par le frottement aux braises ardentes du larynx de Chris Cornell qui, sur ce terrain, n’était rien de moins qu’une force de la nature. La voix de Tyler a beau avoir ses avantages (notamment celui, non négligeable, de ne jamais donner dans le brame permanenté façon Whitesnake), elle n’en conserve pas moins quelques limites évidentes. Dans le cas présent, la placer devant une production aussi lourdement goudronnée revient plus ou moins à atteler une semi-remorque à une trottinette. Ce qui, vous en conviendrez, ne peut fonctionner qu’au prix d'une sacrée dose de persévérance. Par chance, c'est une notion que Tyler affectionne, et les compositions se révèlent agréables (Sunday No Show est peut-être la moins marquante des trois), boostées par des guitares qui ferraillent avec vaillance. Pour autant, l’énergie du groupe et la voix de son frontman semblent plus à leur avantage sur la machinerie rétro-seventies de Roots et Sell Yourself. La première puise judicieusement chez les Black Crowes pour sculpter un groove sudiste débraillé et la seconde est le genre de titre rock sans chichis susceptible de figurer dans une saison de Peaky Blinders. Off The Rails, avec son riff AC/DCesque lancé sur les chapeaux de roue, menace de verser dans la caricature avant de finalement valider l’exercice. Sans maîtriser l’art de l’œillade espiègle à la Suffragette City, la bande à Tyler insuffle suffisamment de gouaille dans son exécution pour éviter le fossé. Ouf.

Mazette, tout cela est ma foi fort sympathique ! Il se pourrait bien que Tyler & compagnie nous aient livré leur meilleure ratatouille depuis… Depuis Wild Child, en fait ? Certainement depuis The Wayside, mais peut-on comparer un album à un EP ? Pas sûr. Depuis Wild Child, donc. M'étant montré sévère avec leurs productions récentes, j’ai évidemment de la facilité à formuler ce constat, tout en pouvant à peu près garantir que les qualités de Shake The Roots ne sont pas dues à un excès d’indulgence de ma part. Il semblerait qu’en ébranlant leurs racines, Tyler Bryant & The Shadown aient déterré quelques bulbes vraiment pas dégueus. Joli coup de bêche, les gars.

OrpheusJay
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le 16 sept. 2022

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