Shaking the Habitual par LoutrePerfide
Le duo suédois de The Knife n'est pas plus pressé que ca pour sortir des albums, c'est le cas de le dire. Après un excellent Tomorrow, In a Year, le duo nous propose un double LP aussi étrange que difficile à appréhender. Moins complexe et alambiqué que leur précédent effort, ce double album constitue une vraie marche en avant pour le groupe, décevant pour certains, novateur pour d'autres, The Knife n'aime pas la facilité et il le revendique clairement avec cet album.
A Tooth For An Eye est un très bon titre rythmé, électronique et clairement dépouillé de tout artifice. Ce titre est vraiment intéressant et unique comme sait si bien faire le groupe. Structurellement on est très proche des débuts du groupe avec des sonorités hirsutes et incantatoires. Plus difficile à prévoir, le côté hautement politique du titre avec un refrain directement tiré d'un livre de Jeanette Winterson, The passion. Difficile de faire un premier titre plus arty (cf une interview du duo).
Full Of Fire est un autre titre majeur de l'album, single incomparable et volontairement électro-industriel et plus enjoué que le reste de l'album. Les sonorités restent une nouvelle fois difficile à suivre et ce n'est qu'avec des écouteurs que l'on se rend compte du travail remarquable apporté à la production et à la science du duo dans la recherche des rythmes et autres fluctuations bpm-esque. On ne débarque pas dans cet album en terrain conquis, on passe quand même plusieurs écoutes à se demander ce que l'on écoute! On nage entre l'anarchie sonore punk et les sonorités plus électroniques expérimentales. Rien ne sera simple, c'est écrit!
A Cherry On Top est un autre titre complexe de 9 minutes au thème centré sur la monarchie. Sombre et décadent, le titre est un régal à écouter mais aussi insupportable à subir si l'on n'aime pas les élucubrations vocales d'Andersson. Elle tient le titre à bout de voix et parvient à nous donner la chair de poule et à nous imaginer dans un château glauque dans lequel les festins s’enchaînent. C'est peut-être le titre le plus déroutant de cet album. Without You My Life Would Be Boring revient d'entre les nobles et les morts pour remettre un peu d'ordre et de cohérence dans ce début d'aventure sonore. L'ambiance penche une nouvelle fois vers le fantastique pour aller au fantasque un peu bouffon. Les paroles sont très difficile à suivre mais en faisant bien attention, on y découvre un refrain mélodieux et très bien écrit. On regretterait presque que le titre ne fasse que 5 minutes.
Wrap Your Arms Around Me est une autre merveille sombre et me faisant penser fortement à des sonorités très Ghosts mais avec une mise en avant bien plus présente de la section rythmique. Le titre est assez classique pour peu que l'on connaisse le groupe mais il est parfaitement maîtrisé.
Crake est un titre court et plutôt dérangeant, mi-bruitiste, mi punk, il constitue une drôle d'introduction pour le fantomatique Old Dreams Waiting To Be Realized. Ce titre est une sorte d'expérimentation de 19 minutes! Le duo y manipule les fréquences, les sons et les longueurs apportant une touche très industrielle et volontaire pédante à cet album. On est moins dans le ressenti, on est dans le cérébral. Exit l'acoustique, on est dans le cœur de l'album avec les manipulations arythmiques d'un instrument crée de toute pièce par le duo spécialement pour ce titre. Étrange et envoûtant, le titre est très difficile à appréhender si l'on est pas curieux où que l'on aime pas le côté cérébral et espiègle du duo.
Raging Lung détend un peu l'atmosphère avec de sublimes rythmes et un retour d'Andersson bien à propos. On frôle le sublime dès le début pour ne plus décrocher si ce n'est quand le groupe le décide pour un final épuré et délicat. Networking est un titre qui tranche singulièrement du reste des titres précédents et nous ramène à une techno minimaliste magistrale hautement déroutante. Le groupe excelle décidément dans le mix de ses propres influences et celles de ses différents projets annexes. Oryx est un autre titre conceptuel et difficile à cerner sur l'album. On notera que les 2 titres Crake et Oryx sont inspirés par une nouvelle de Margaret Atwood de science fiction assez atypique et qui semble fort intéressante à lire.
Ce groupe ne fait décidément rien comme les autres, c'est évident, les influences sont très difficiles à cerner et ce n'est pas le groupe qui va nous faciliter la tache. Cet album est non seulement difficile à s'accaparer mais il fait tout pour résister et pour nous cacher son réel motif. Stay Out Here n'est pas en reste, il nous pousse donc à rester sur le côté à contempler de loin ce second CD. Les ambiances restent glaciales et spectrales, l'ensemble est moins "évident" que le premier CD qui jouissait malgré tout d'une certaine logique thématique, on reste dans le flou le plus total, embrumés et légèrement enivré par ce doux mélange hypnotique
Fracking Fluid Injection est lancinant, complexe et déstructuré, à l'image de cet album en somme. Complainte lascive, il s'élève un peu sur la seconde moitié mais sans jamais réellement se découvrir. Ready To Lose clôt donc le festival avec un titre moins alambiqué et plus mélodique que le reste de ce second CD.
Autant être honnête, cet album est encore plus difficile d'accès que les précédents. Il est pourtant plus direct au niveau de la thématique, plus ouvert sur ses propres contradictions, il délectera les amateurs de musiques dites intellectuelles et qui nécessitera bien des écoutes avant de pleinement mesuré le réel impact de cet album sur son auditorat. Loin du tout électronique élitiste, il parvient même à distiller une certaine âme à un album qui semble si froid, si mécanique. Le duo évite donc de n'être qu'un simple appeau à hipsters qui retourneront leurs vestes car les médias vont parler un peu du groupe en prétextant avoir aimé le groupe à ses débuts, lorsqu'il n'était qu'une ébauche de ce qu'il est devenu désormais, une pièce majeure de l'échiquier musical de ces dernières années.