Shut Up ’n Play Yer Guitar par XavierChan

Au-delà du mystère qui entoure l'exactitude de certains lieux où ont été enregistrés ces soli, brûlants et corrosifs à s'en faire péter l'oreille interne jusque dans la cavité bucconasale, ou même de quels morceaux sont tirés ces extraits virtuoses et soufflants, Shut Up 'n Play Yer Guitar est déjà un projet aussi loufoque que pharaonique dans ses ambitions et prétentions toutes, il est vrai, légitimes. Nul n'ira contredire ces quelques mots suivants, Frank Zappa était un immense guitariste. Les fans les plus sérieux du compositeur reconnaîtront un peu d'Inca Roads ici ("Gee, I Like Your Pants"), un peu de Chunga's Revenge là ("Pinocchio's Furniture"), sous des appellations délicieuses, mais toujours cette incroyable aisance dans le maniement du manche et dans les superpositions de textures aux motifs immédiatement reconnaissables, retravaillant, nuançant des soli jusque-là connus et célébrés pour en écrire finalement de nouvelles pages. Frank Zappa ne fait pas dans le hard, il glisse simplement avec l'inspiration du moment, celle du compositeur jamais tout à fait satisfait.

Le plus amusant n'est pas en soit d'écouter les prestations remarquables à la chaîne. Le fan assidu tentera de comprendre pourquoi tel solo a été associé à telle ligne de basse, telle mélodie de sitar, telle percussion issue des intermèdes parlés et bruitistes de Sheik Yerbouti ou Läther. La question est pourquoi? Amoureux de collages et de montages en tout genre depuis sa plus tendre enfance (le beau documentaire "Zappa" d'Alex Winter sorti récemment le montrait déjà dans les années 50 s'amuser à éditer des films super-8 familiaux) et ayant mis un point d'honneur à la xénochronie avec Joe's Garage quelques années plus tôt, ce trip album représente une nouvelle étape dans le montage et la sélection pointilleuse d'un travail constamment enregistré depuis ses tournées aux USA, au Royaume-Uni ou encore au Japon.

Les soli ne sont pas non plus livrés tels quels, ils sont mis en scène dans un écrin surprenant, parfois superbement accompagnés d'instruments d'une ampleur artistique et orchestrale évitant la redondance et les maux de crâne. The Deathless Horsie et Shut Up 'N Play Yer Guitar Some More font partie de ces grands moments à la beauté étirée, aérienne, qui se confondent dans les étoiles d'une nuit absolue qui aura appartenu, le temps de quelques soirs, à Zappa et à personne d'autre.