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Cela fait exactement 30 ans que le trio new-yorkais constitué par les frères jumeaux Simone et Amedeo Pace et la chanteuse-guitariste Kazu Makino existe, et est considéré comme un groupe phare de l’indie rock new-yorkais tel qu’il naquit au début des années 90. Trente ans qui ont vu, soyons honnêtes, la musique de Blonde Redhead s’étioler peu à peu, après des débuts retentissants : même si les fans du groupe, et il y en a un certain nombre, ne seront bien sûr pas d’accord, pour beaucoup d’auditeurs moins convaincus, les albums successifs ne présentaient plus la grâce et la magie des débuts. Jusqu’à une pause de neuf ans entre Barragán, un disque plutôt inconsistant (pour être gentil…), et ce dixième album, dont le titre Sit Down for Dinner évoque le rituel social universel du repas pris ensemble. Et qui s’avère un très bon cru, une excellente surprise en fait de la part de gens dont on n’attendait plus forcément grand chose !

Si fondamentalement, la musique de Blonde Redhead n’a pas changé, ce nouvel album dégage un plaisir supérieur à ces prédécesseurs, un sentiment de plénitude, peut-être dû à la patience avec laquelle il a été composé, interprété, construit, au cours des trois dernières années : le trio parle d’un « concept » derrière Sit Down for DinnerIt is about the inescapable struggles of adulthood : communication breakdown in enduring relationships, wondering which way to turn, holding onto your dreams » – Il parle des combats inévitables de l’âge adulte : la rupture de communication dans des relations à long terme, les doutes quant à vers où se tourner, la manière de s’accrocher à ses rêves), mais on sent instinctivement qu’il s’agit là d’un album plus « organique », plus « naturel » que d’habitude. Les deux premiers titres, Snowman (une chanson très simple, construite sur deux accord, parlant de « la façon dont cela peut être une bénédiction ou une malédiction d’être invisible et indétectable », d’après Amadeo) et Kiss Her Kiss Her sont deux petits bijoux, avec des mélodies notables – encore que, bien entendu, Blonde Redhead restent un groupe préférant la légèreté atmosphérique à l’évidence mélodique…

Le titre de l’album a été inspiré par la lecture du livre de la romancière Joan Didion, L’année de la pensée magique, consacré au chagrin. En pleine pandémie, alors que le confinement (« We all had plans before then we got hit » – on avait tous des projets avant d’être touchés…) accentuait les pires tendances dépressives de chacun, Sit Down for Dinner est devenu pour Kazu Makino une phrase d’espoir (pouvoir à nouveau s’asseoir à une même table que ses parents, vivant au Japon) autant qu’une… menace, celle de voir la vie et ceux que nous aimons nous filer entre les doigts : « You sit down for dinner and the life as you know it ends, no pity » (Tu t’assois pour le dîner et la vie telle que tu la connais se termine, sans aucune pitié). Cette dualité a imposé que la chanson éponyme soit scindée en deux parties, placées au cœur de l’album qui a grandit autour de cette question centrale.

L’album s’écoute facilement d’une seule traite, les chansons construisant une sorte de récit unique, aussi triste que chaleureux, et on ne ressent pas forcément le besoin de détailler les sentiments que chacune fait naître. Soulignons néanmoins que I Think You Should Know est une véritable splendeur, offrant une expérience un peu moins minimaliste que le reste, et dégageant un lyrisme et une sensation d’ampleur particulièrement satisfaisante, en dépit de la tristesse des sentiments évoqués. Et que la conclusion de Via Savona, long morceau atmosphérique sans paroles mais avec des vocaux, peut définitivement sonner comme un magnifique adieu de la part d’un groupe qui a affirmé que ce disque serait leur dernier : c’est là néanmoins le genre de promesses qui ne demandent qu’à être rompues.

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2024/01/02/blonde-redhead-sit-down-for-dinner-aussi-triste-que-chaleureux/

Créée

le 3 janv. 2024

Critique lue 32 fois

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Eric BBYoda

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