Fraîcheur familière

Skinty Fia est le 3ème album studio du groupe de post-punk revival irlandais Fontaines D.C., sorti le 22 avril 2022. Il est le tout premier album du groupe que j’ai écouté.

J’ai découvert Fontaines D.C. dans un de mes bars favoris de ma ville (le Pot au Lait à Liège, en Belgique) en janvier passé. Je passais un bon moment avec mes amis après une session d’examen désastreuse, quand tout à coup j’entendis un break de batterie nerveux et une ligne de basse simple, dansante et lancinante. Il s’agissait de Jackie Down The Line, le 1er single extrait de Skinty Fia (merci Shazam, au passage).

Depuis ce jour j’ai écouté un nombre incalculable de fois ce morceau. Il y avait dedans quelque chose de très frais et familier à la fois : la ligne de basse mélodique basée sur 2 accords en ostinato (motif mélodique/rythmique répété en continu dans un morceau, accompagnant le reste de la structure), le chant nonchalant évoquant Morrissey et Gallagher, le côté dansant digne de The Killing Joke sur l’album Night Time, l’atmosphère sombre d’un Joy Division et New Order embryonnaire, … etc. Le tout me rappelant les groupes de post-punk, rock gothique et indie rock anglais des années 80 qui ont fait mon enfance (époque bénie de la génération de ma mère).

Un mois plus tard sort I Love You, une fausse chanson d’amour écrite par le groupe pour dénoncer le climat politique actuel de l’Irlande et les atrocités historiques qui ont marqué le pays. Mais une chose est sûre : malgré cette dénonciation acerbe du pays, Fontaines D.C. aime toujours leur terre d’origine - qu’ils ont quitté pour poursuivre une carrière artistique à Londres. La chanson se présente sous forme de ballade gothique et atmosphérique, assez douce-amère, suivie d’une construction en crescendo pour un final viscéral.

Le reste de l’album est dans la même lignée que les singles mentionnés ci-dessus : froid, torturé, rythmique et sombre. Certains titres ont un côté assez psychédélique dans leur atmosphère, et d’autres empruntent des éléments du shoegaze (mur de guitares noisy, ambiance éthérée, beaucoup de textures sonores, etc). Chacune des chansons du disque représente à mon sens un hommage à un groupe différent, tout en ayant un son moderne. L’accent irlandais très prononcé du chanteur ajoute également beaucoup d’authenticité et de personnalité à l’ensemble.

L’approche du groupe sur Skinty Fia est relativement pop, mélodique et minimaliste au sein du post-punk, ce que je préfère dans le genre en soi (contrairement au post-punk arty, funky ou noisy) : avec très peu de moyens ils arrivent à faire de très belles mélodies qui restent coincées en tête pendant un long moment. Ce qui me plait le plus c’est la basse bien ronde (et mise en avant dans le mix) et les petites mélodies atmosphériques sur les 3 dernières cordes à la guitare électrique - noyée dans la reverb et le chorus (l’effet que tout le monde utilisait dans la new wave, le post-punk, le disco-funk et la dream pop à l’époque).

J’ajouterais également que ça fait plaisir d’écouter quelque chose de moderne qui est bien produit, très organique et transparent. Je suspecte le groupe d’avoir enregistré en analogique, étant donné que le son a un grain très rond et chaud. Le master final respire beaucoup dû à l'absence d'un mix surcompressé: il fait preuve d'une grande dynamique et d'une imposante richesse harmonique.

En 44 minutes le groupe arrive à varier différentes ambiances, entremêler les influences diverses et nous propose une œuvre d’une agréable fraîcheur en cette année 2022. Le tout - constitué de 10 chansons - est consistant et très travaillé. Il ne me reste plus qu’à écouter les 2 premiers albums du groupe, en doutant qu’ils aient fait mieux dans le passé.