Il y a dans Sleep Dirt, expérience musicale malade et menaçante, un travail de Zappa riche d'influences métissées. On parle ici d'expérience puisque le récent auteur du salasse Zoot Allures coupe court avec sa récente ligne éditoriale dans la mesure où il délaisse sans prévenir ses motifs funk-rock délurés d'un Studio Tan pour s'octroyer la grosse part du gâteau, ici exclusivement instrumental.
Et si les influences orientales de l'introduction disaient chiche à l'Ensemble jazzy du morceau suivant, avant de prendre le large vers la terre promise rock qui font ce que Zappa est dans le fond, un immense esthète rock tellement pointu que te risquer à le suivre pourrait se convertir en réel plaisir ludique et encyclopédique, te faisant sortir de chaque écoute encore plus riche intellectuellement et par dessus tout, satisfait. Nouveau ici, un dernier tiers à la guitare acoustique, flirtant avec le gipsy et le flamenco, accompagné par une basse / contrebasse délicieusement swing. Le seul artiste, aux prétentions démesurées, capable de confronter musique orchestrale et rock progressif sans souffrir de la lourdeur, ce dont a été incapable Pink Floyd la même année avec The Wall sans doute parce qu'ils n'ont pas de marimbas avec eux pour décoincer le style.
Détesté par ses musiciens pour sa radinerie et sa fourberie musicale, Frank Zappa reste ce moustachu sec comme un clou de trique, l'organisateur de grands moments de fête sur scène, le chef d'orchestre qui n'est pas souvent là où on l'attend. Sleep Dirt fait partie de ces innombrables sorties contractuelles qui ne répondent à aucun standard musical mais qui aura sans doute permis aux détracteurs de Zappa de n'entendre que sa musique et guère son verbe. La version remasterisée par Zappa et agrémentée de vocals est à fuir comme la peste.