Deux ans et des brouettes après la tonitruante sortie de Violator, un succès mondial et une tournée victorieuse, il est temps pour Depeche Mode de se retrouver, écouter les démos de Martin Gore, enregistrer un super album, tourner, prendre la monnaie, et recommencer..la routine. Mais les 4 membres du groupe ne se sont jamais vraiment entendu, Gore boit beaucoup, Gahan apparaît les cheveux longs, camé et enterré dans un trip new age, Wilder veut définitivement aller de l'avant et se faire entendre et Fletcher..ben lui il suit, comme d'habitude.
Toujours produit par le magicien Flood, tous décident d'aller plus loin que d'intégrer des guitares aux compos mais bien de composer un pur album rock des années 90..le pari est ôsé. D'autant plus ôsé que le groupe se montre assez incapable de sortir de bons morceaux sous cette formation guitare-basse-batterie..Une autre session d'enregistrement aura donc lieu, bien plus fructueuse, et quelques mois plus tard, l'album "quitte-ou-double" tombe dans les bacs.
I Feel You commence sur un crissement qui peut nous rappeler les samples de démarreur et de moteur utilisés par le passé, et puis la changement se fait connaître d'emblée: une guitare blues-rock, un son crade, et le refrain résonnant et emblématique de cette période, sur une batterie très diffuse.. On peut avoir peur pour la suite, mais là tout s'éclaircit, le son devient puissant, des samples, des charlestons en "ping pong" à droite et à gauche, c'est bien le successeur de Violator, même si le groupe s'accompagne de choeurs gospeliens (ici sur le frissonnant refrain).
Le second single arrive, et le moins qu'on puisse dire, c'est que DM avait habitué les foules à des singles plus gais. Pourtant loin d'être mon morceau préféré, Walking In My Shoes devient vite un classique, aidé par le marquage esthétique très fort d'Anton Corbijn (ici des femmes à tête d'oiseaux à becs croisés) et ses quelques notes de pianos reconnaissables entre mille. Je luis préfère sa version "SOFAD Live", plus longue et puissante.
L'album s'enfonce à nouveau dans le pur gospel avec la fameuse Condemnation, ballade qu'on aime ou qu'on déteste et morceau fétiche de Gahan.
Pour moi, le charme immense de cet album provient de cette alchimie entre rock saturé et electronique moderne, à l'image de ce Mercy In You et de son superbe refrain, encore meilleur dans sa version live.
Une nouvelle donnée extrêmement importante pour la musique de DM est l'inspiration en ce qui concerne les rythmes, maintenant bien loin de l'electro-pop/techno et se rapprochant davantage du Hip Hop, ce qui sera très important pour la suite.
Le morceau Judas est le premier morceau de l'album avec Martin Gore au chant, et bien que très joli (et sur fond de cornemuses), sa version live est nettement meilleure, renforçant une impression de berceuse mais mettant de côté la fin electronique instrumentale du titre, un des meilleurs moments de l'album.
Le sommet de l'album: In Your Room. On ne peut s'empêcher de penser à Alan Wilder et les merveilles qu'il a pu faire en studio, dont cet album est le premier manifeste. Morceau tragique qui trouve une seconde grandeur en live, il sera pourtant partiellement gâché par une version single plus pop-rock plus traditionnelle. Ecoutez donc cette fin de version live, cette christe sur fond de violons en decrescendo..un pic.
Et puis il faut bien souffler, alors nous voilà devant deux titres qui ne cassent pas de briques.
Le premier est Get Right With Me, morceau gospel un peu trop positif mais qui présente deux avantages: Il est court et précède un petit interlude qui n'est autre que l'intro live d'I Feel You. Sa place dans l'album et sa petite voix trafiquée ("My Kingdom Comes") sont un autre rappel à Violator et ses interludes.
L'autre titre est Rush, plutôt violent par rapport aux habitudes du groupes, sans doute dû à son rythme et sa boucle rapides et inhabituels pour Depeche Mode.
L'album finit pourtant en beauté. Tout d'abord, un autre coup de poker: Martin Gore uniquement accompagné d'un petit orchestre classique, donnant une ambiance toute particulière à ce titre mélancolique (une idée renforcée par son clip...déroutant). Et Puis Higher Love, qui servira d'ouverture aux concerts de la tournée (en tout cas la première partie), il fallait ôser mais le résultat est sublime. Morceau finalement simple mais difficile à décrire, on ne pouvait pas rêver d'une meilleure fin à cet album.
La tournée qui suivra sera une apogée artistique, sans doute la meilleure, la plus grandiose, mais aussi celle qui tuera le groupe et tout le "staff", enfonçant définitivement Gahan dans la drogue et Gore dans l'alcoolisme, envoyant Fletcher en depression et surtout..une fin de tournée marquée par le départ d'Alan Wilder.
Depeche Mode, redevenu un trio et au bout du rouleau, aurait bien pu s'arrêter là.
Et pourtant.
+Un album et une période de souffrance (la souffrance chez DM, ça paye)
+la maîtrise rock et electro
+génial du début à la fin
-départ de Wilder (ce sera dommage pour les albums suivants)