Quand les jeunes essaient d'imiter leurs glorieux ainés, quelque soit le support, l'art, ils peuvent se planter complètement. Mais parfois, il y a des merveilles qui sortent au milieu du chienlit et des charbons ardents, à l'image de ce disque sorti en ce début d'année 2018 béni des dieux que viennent de sortir mes nouveaux (petits) héros, effrontément jeunes (20 ans de moyenne), le talent au cœur, répondant au nom de Shame. Ces gars ont tout du futur grand groupe. Concerts furieux, fiévreux, pogos et slams dans une anarchie de corps en mouvement déglingués, rencontres fortuites, virulentes, imprévisibles et heureuses des personnes réunies pour l'amour de la musique, leur musique. Premier album en or. Et Chanteur charismatique, à l'image de ce « Concrete » avec cette voix d'outre-tombe, chantée exagérément dans le grave, puis cette vocifération en puissance dans la grande tradition punk anglaise, faite d'un chant - hurlement cathartique, d'un fond de gravier dans la gorge, et de cet accent anglais à couper au couteau, sorte de John Lydon mais en plus pop, plus sensible. Voix que l'on peut traduire (sans doute ) par « je m'emmerde grave dans ma ville, par contre j'ai mes potes, et avec eux on va boire des pintes. Après on branche les amplis. Et puis ça sort tout seul* ». Les trois premiers morceaux sont impeccables de justesse, de perfection, de beauté et convainquent d'emblée ; que dire ? C'est comme si ces jeunes garçons avaient réussi à mettre en musique la perte de leur innocence, la passion de la musique, leurs influences, du romantisme purement anglais, l'entrée dans l'âge adulte. « One Rizla", est doté d'une mélodie à tomber par terre : morceau qui a tous les attraits du « tube », qui fera réagir ton pote dans une soirée avinée pour te crier par-dessus les décibels « c'est quoi ça ? ». Chanteur charismatique, et grand bassiste : son de basse rond, organique, viril, « je suis là dans la place et j'en ai tout autant dans le pantalon que mon digne chanteur » ; la basse vibre de tout son long, est à la fois, effrontée, grasse, entière et ronde, pleine, vivante, virevoltante, que se soit sur « tasteless » ou, plus encore « The Lick ».
Le son de Shame est ample, il respire. Il n'y a pas de fioritures sirupeuses superfétatoires qui viendraient tâcher leur musique unique. Cette musique qui est encore innocente, pure, sauvage. « Dust On trial » ouvre les hostilités. La voix du chanteur Charlie Steen est parfaite : jeune, mais enraillée, pleine d'une envie faite de cette rage urgente à gueuler dans le micro, d'avoir un truc à dire, spontanée. Tout ceci confère au chanteur, en plus de ses boires et déboires sur scène une parfaite authenticité. Post-punk et punk tout court à tomber par terre, beau à pleurer : écoutez donc ce passage de "Concrete" à 2 minutes environ : montée parfaite des guitares, répétitives, en harmonies, puis explosion vocale, punk, brute, rugueuse et granuleuse. Claque.
Ce groupe de Londres à tout du grand donc. Le son d'ensemble du disque, parfaitement produit, est aussi fort et bon que ces disques des grands de Manchester : Stone Roses en tête, et consorts.
Rien ne les arrête, mieux, le disque semble monter en puissance. Si « One Rizla » est un tube qui lorgne vers la pop, les morceaux « Donk », « Gold Hole » et « Lampoon » et sa basse frénétique sont plus durs, rêches, secs et bruts, tout un résumé à la Ken Loach d'une vie anglaise adolescente, sur fond de canettes de bières et de bastons. Sur « Gold Hole », la batterie est hargneuse, montre l'envie d'en démordre. Le chanteur met tout ce qu'il a. La basse, encore, bien sûr. Les guitaristes s'en donnent à cœur joie sur des délices de solos enfiévrés.
La pochette renvoie clairement au "Pet Sounds" des Beach Boys, sauf qu'à la différence de leurs glorieux aînés californiens, c'est que ce premier album qu'est "Songs of praise" n'est sans doute pas leur chef-d'oeuvre. C'est, assurément, un classique. Et déjà un grand disque. Les Shame ont le romantisme et le génie mélodique des Stone Roses, la virulence purement anglaise des Pogues, la sauvagerie des Sex Pistols. Qu'on ne s'inquiète pas trop pour la musique, car, depuis la mort de Bowie et de la palanquée de morts qui ont suivi, il y a eu de tout en musique. Mais les Shame montrent clairement que la relève est (largement) assurée, c'est un bon coup de pied dans la fourmilière du rock, avec quelques rares autres. Ils démontrent que le rock (sans paillettes) ne sera jamais mort, car ce qui constitue la musique de ces mômes (tout simplement leurs vécus respectifs) sera toujours présent. Et même si de grandes influences se perçoivent et se captent dans leur son, ce ton qui est le leur, cette urgence de dire, de chanter et cette envie de jouer sont décidemment trop beaux, trop sauvages, et trop pures pour que leur musique ne soit pas qualifiée d'originale. Un cycle de morts, une génération s'éteint, mais une autre arrive, avec une fraîcheur qui donne envie d'hurler « Fuck, yeah !».
Shame, c'est donc le timbre de voix de John Lydon, avec une sensibilité mancunienne, la basse des Stranglers et l'âme d'un Joy Division.