au fond, annie clark a toujours fait son intéressante. des noms d'albums aux pochettes, des singles à l'imagerie froide l'entourant (moi-même, n'est-ce pas en voyant le clip de actor out of work que j'ai fondu d'amour pour elle?), des paroles à ses performances sur scène, des guitares bizarres aux synthés crados, tout ce qu'elle a pu faire sous le nom de st vincent n'a été qu'une très longue série de mises en scènes, un concours d'épate allant crescendo, impressionnant petit organisme vivant et mystérieux que les gens écoutaient (pardonnez l'imparfait, je parle pour moi, à la troisième personne du pluriel) avec les mêmes lueurs dans les yeux que des adolescents se cherchant une idole cool, trop cool, au delà du cool, post-cool, viviséquant le cool. elle était à peu près tout. elle avait de l'humour, elle était hypnotisante, elle jouait de la guitare comme robert fripp, elle nommait ses morceaux d'après des films d'eric rohmer. tout pour plaire, tout pour fasciner. d'où est donc venu la lassitude ? d'où a émergé lentement l'agacement ? peut-être dès strange mercy, ce disque que j'ai attendu comme le messie et que je n'ai pas réécouté en entier depuis 2011. surement avec love this giant, effroyable étron signé main dans la main avec david byrne, défendu à bras le corps par une poignée d'agneaux qui osent trouver rien qu'un soupçon d'avant-garde et de modernité dans cette orgie lisse d'un funk horriblement blanc, laid et ringard, voué à l'oubli éternel et mérité. quelle était cette chose ? où étaient passés les lendemains chantants et féroces du single krokodil (single que je viendrais à penser qu'il est issu de mon imagination tant il n'en reste aucune trace ici...) ? les questions se bousculaient telle une petite cascade de déception, interminables et discrètes comme une chasse d'eau cassée à trois heure du matin. où donc étais-tu passée annie ? (oh, ce prénom répété comme un mantra. annie. ridicules et pathétiques êtres humains).
nulle part, sans aucun doute. st vincent est actor ET love this giant. annie clark est capable de sparrow comme de prince johnny (déjà "morceau de l'année" pour certain - si vous savez pourquoi, envoyez moi une message en privé, je cherche). en tant qu'artiste, peut être même en tant qu'être humain d'ailleurs, elle a toujours été prodigieusement géniale et agaçante (imputez le mot précédent à ce que vous voulez : énervement, déception, jalousie, je ne sais pas moi même). géniale, surdouée, jesaistout. la question qui ne concerne que moi serait donc plutôt de savoir pourquoi il est trop tard maintenant, pourquoi pas jamais, pourquoi pas plus tôt, pourquoi ne pas avoir grincé les dents en 2009, pourquoi avoir attendu le quatrième album pour commencer à râler comme un grincheux et, comme d'habitude, évidemment à total contre-temps de l'opinion publique qui trouvera sans doute parfaitement son compte dans cet album éponyme logique, succédant au précédent avec juste assez de pareil pour ne paralyser personne et une suffisante dose de différent pour poudrer les pupilles à foison.
je l'écoute cet album, là, en écrivant ses lignes. quand j'aurais fini ce truc, je souhaite ne plus jamais l'écouter. je le supprimerais de mon baladeur. il ne sera plus jamais recherché dans ma bibliothèque itunes. ne l'ayant pas en cd, il n'aura même pas à prendre la poussière à côté de mes disques des white stripes. il restera là, dans le fond de mon disque dur et de ma mémoire, comme la photo de vacances d'un ancien ami que l'on croise, un jour, par hasard, en regardant les réseaux sociaux aux toilettes. et j'oublierais lentement ces légers et inutiles moments de crispation ressentis en l'écoutant. j'oublierais la phrase "oh what an ordinary day/take out the garbage, masturbate", recopiée dans n'importe quelle critique paresseuse du disque par des gens tout heureux d'entendre de pareils mots dans un morceau pop et la bouche d'annie clark. j'oublierais les paroles de digital witness qui se targuent, en 2014, de faire une critique acerbe et post-ironique de la télévision et l'internet (quelle audace) sur le fond d'un groove mollasson et avec ces horripilants "yeah" entre les phrases. j'oublierais la ballade "i prefer your love", réservée à ceux qui ont toujours eu honte d'aimer lana del ray, tellement fière de l'unique phrase de son refrain qu'elle la répète avec délectation sur fond de pure soupe indé comme on nous en fait péter l'estomac depuis cinq ans (parait que le morceau critique également la religion. intrépide, vraiment, c'est fou). j'oublierais la coda de "huey newton" et ses "you know" aigus et son riff stoner à la con et comment elle arrive venue de nulle part pour nous faire le coup standard du morceau à tiroir. et puis j'oublierais aussi cet embrassant pastiche des fiery furnaces intitulé "bring your loves" pour ne plus rougir de honte en l'écoutant. putain, ouais, j'espère que j'oublierais tout.
rien n'est profondément mauvais dans ces quarante minutes. il y a toujours des choses à sauver. il y a toujours une guitare nerveuse et bien sentie. il y a toujours une mélodie qui rentre la tête. avec un peu de temps et de bonne volonté, on lui donnerait le bon dieu sans confession et je suis sur que je pourrais un peu l'aimer. je secourais la tête sur le rigolo rattleshake. ce serait bien ouais. mais il y a cette espèce de malaise. du trop bien fait, du trop bien foutu mais en vain. de la bizarrerie sur fond de rien. d'une série de bonnes idées qui tournent à vide. plus que jamais (et tout vient peut être de là) st vincent est un album pour gens facilement impressionnables, un disque sans aucun fond, dont les refrains sont d'une impossible médiocrité (tous, vraiment, il n'y en a pas un qui n'éclabousse le couplet qui le précède d'une indélébile giclée de médiocrité et de facilité, voir l'aberrante gelée kitschissime et mélotronée qui vient interrompre le mignon psychopath, qui ressemble d'ailleurs à cent mille d'autres morceaux de pop-de-chambre-à-coucher fait par des adolescents sensibles) mais auxquels on pardonne tout tant ils ont l'air remplis de mélodies tordues - mais retombant invariablement sur leurs pattes, acrobaties attrapes-touristes-soniques -, d'arrangements faussement ingénus dans leur ingéniosité racoleuse ("nan mais y'a du FUNK, du PUNK, du PROG, du MATH, y'a TOUT QUOI") et de la voix haletante d'annie clark et ses paroles prêtes-à-copier-coller sur twitter. la moindre guitare distordue qui vient déchirer la production propette semble se la péter. oui, la moindre dissonance sonne... faux. et sous ses airs de songwriting mature et acéré par les années, on ne trouve que la même trentenairisation amorcée dans love this giant et criante de banalité sur toutes les morceaux aux bpm neurasthéniques, entachés d'accords pleins et étouffants, de rythmes langoureux jusqu'à la nausée, de nappes synthétiques pour grandes cantines émotionnelles.
mais hé, qui d'autre fait ça de nos jours ? st vincent répond finalement un peu à un besoin. un désir. un manque. une sorte d'élévation. une idée chimérique d'une pop de rang supérieur peut-être. une pop pour notre époque. notre temps. "votre" irait peut-être mieux. et je reste tout seul dans mon coin. je vais aller prendre le bus. et peut-être n'écouterais-je pas de musique du tout sur le chemin. ça vaut peut-être mieux.