Sin After Sin laissait poindre (ou plutôt percer assez visiblement) le potentiel énorme de Judas Priest. L’album possédait des titres précurseurs comme Starbreaker ou Here Comes the Tears, et surtout la monumentale arme nucléaire absolue incarnée par Dissident Aggressor. Mais il souffrait également de coups de mous, voire d’une anomalie colossale (Last Rose of Summer). Mais en définitive, on passait un très bon moment en compagnie du Prêtre, on restait ébahis devant la voix de Rob Halford, tout penaud devant les jumeaux guitaristes et leur jeu de duellistes de la six-cordes, par les riffs acérés et enjoués soutenus par une rythmique colossale et souple malgré tout, bref, par le talent commun des membres du groupe. Une dynamique est lancée, et, depuis cet élan fulgurant, un successeur sera composé : Stained Class, l’album à la pochette rouge et argentée étonnante, qui gomme les erreurs passées pour livrer un contenu époustouflant et magistral, où chaque seconde brille d’inventivité et de férocité.
Quand Exciter déboule, avec son solo de batterie en introduction, on est déjà embrasés par le riff rapide et mordant, et la voix de Rob finit de nous rendre tout fou lorsque le couplet débute. Le refrain se situe encore plusieurs tons au-dessus en matière d’intensité, le solo se place parmi les mythes du genre en quelques secondes à peine, mais c’est le final, véritable apothéose vocale et instrumentale qui finit le travail et nous rend complètement marteau. L’album démarre à peine qu’on est déjà en transe.
White Heat, Red Hot me fait penser à une virée à toute allure à travers les flammes de l’Enfer. Le refrain est calme et monumental à la fois, regorgeant de tension et de fureur. Et puis ce solo qui succède au refrain, putain, mais quelle claque ! Impossible de l’écouter en restant de marbre, c’est une explosion incandescente de météores qui volent dans tous les sens. Je mets au défi quiconque d’écouter ce solo sans se laisser consumer par les flammes extatiques qu’il déploie de partout au sein de notre âme ! Encore une fois, la fin atteint des sommets d’intensité. On se dit que si tout l’album est comme ça, on ne redescendra jamais de notre Septième Ciel.
Better By You, Better than Me apporte justemement cette accalmie. Sans être aussi flamboyant que ses prédecessuers, il dispose d’assez de puissance et de consistance pour faire passer un bon moment. Moins d’envolées vocales et guitaristiques ici, mais un calme tout en maîtrise qui fait mouche. Le maillon faible de l’album tout de même.
Stained Class ne fait pas partie des classiques du groupe. Quand on évoque ce titre, tous les mordus du Prêtre pensent à l’album, et aucun au titre homonyme. D’un côté, ce n’est pas plus mal, ça prouve que la chianterie plébéienne, toujours prompte à s’arroger les groupes mythiques et à les résumer à une poignée de chansons commerciales, n’a pas encore souillé Judas Priest. Pourtant, Stained Class est un bijou. Rob Halford y est dément, et cette rythmique au galop (nommée aussi tagada), rendue redoutablement acérée par les sons affûtés des guitares est aussi rudimentaire qu’entêtante. Le refrain est le meilleur de l’album, et je trouve fort dommage que Priest ne la joue pas plus souvent en concert tant ce morceau est une véritable perle.
Après le meilleur refrain, la meilleure introduction. Celle d’Invader est tellement lourde qu’elle pourrait faire fondre du plomb à une vitesse vertigineuse. Ce bruit de métal en fusion qui va crescendo avant de laisser la place au riff percutant du morceau est simplement énorme, on en redemande ! Cette intro et le solo constituent les deux points forts de la chanson, dont le refrain et les couplets sont quant à eux moins mémorables.
Saints in Hell est ma chanson préférée de tout l’album. Là encore, il s’agit d’un titre peu connu de la plèbe et peu joué par le groupe en concert. Mais putain, quel chef d’œuvre ! J’adore le thème abordé, je comprends pas tout mais on s’en fout, je retiens que des Saints sont en Enfer après une bataille contre je ne sais qui et qu’ils sont prêts à partir à l’assaut contre lui. Tout est propice au combat ici, on sent une ambiance à la fois sanglante et belliqueuse, tout en restant noble. Le deuxième couplet est plein de dignité. Les Saints préparent leurs armes, affûtent leurs lances, on ressent encore une fois tout l’esprit revanchard et déterminé parfaitement interprété par un Rob Halford rempli de prestance, sa voix incarne un poignant mélange de résignation et de soif de bataille. C’est tout le long magnifique, la perfection ne quitte pas le morceau une seule seconde (sauf pour l’accent français), et le final atteint des hauteurs inimaginables et indescriptibles. C’est colossal. Un morceau à la limite du surréalisme, tellement la qualité et l’émotion y sont présents.
Savage est le jumeau de Better By You, un morceau plus calme et sentant le manque d’inspiration. Cependant, la guitare rythmique qui accompagne le solo offre un riff diaboliquement efficace, limite meilleur que le solo qui est pourtant de haute volée. A noter aussi la prestation de Halford à la fin du morceau, ce qui permet à celui-ci de ne pas hériter de la dernière place qualitative des morceaux de l’album.
Avec Beyond the Realms of Death, on aborde enfin un morceau adulé par les mordus du groupe, voire par la plèbe (mais pas trop non plus, heureusement). Beaucoup de choses ont déjà été dites au sujet de ce morceau, et je ne sais pas vraiment quoi rajouter. Beyond the Realms of Death peut se résumer par un mot : la beauté. Tout est beau dans ce morceau. La voix, la rythmique, les guitares, les solos, l’intensité du refrain, la douceur des couplets…rien à redire. Même écoutée maintes fois, ce morceau me prend toujours aux tripes, surtout à la fin, où les guitares virevoltantes atteignent le point de fusion avant de laisser la place à un Rob Halford magistral de puissance. Les ballades sont souvent chiantes, car les gens du tout venant se les arrogent et les rendent chiantes en les diffusant du haut de leur illégitimité à diffuser du metal. Mais Beyond est épargnée par ce mal, elle vole au-dessus de la masse à l’aide de ses ailes immaculées.
Heroes End conclut l’album en nous délivrant un riff de plomb, s’étalant encore et encore, se répétant à l’infini, nous emprisonnant dans une boucle d’aliénation perpétuelle. On est sous hypnose, ce riff ne parvient pas à nous lasser, sa simplicité et sa pesanteur étreignent notre esprit, et on écoute Rob tout en oubliant notre statut d’humain mortel pendant cinq minutes. En aval, on écoute le silence et on se rend compte que l’emprise a cessé, du moins, c’est ce qu’on croit, car, le riff est imprimé à jamais dans notre tête.
Rien à jeter, rien à oublier, du pur bonheur musical à écouter sans modération, tout en se surprenant à chaque fois de ne jamais se trouver lassé par l’écoute de ce Stained Class, véritable sans-faute du Priest, qui frappe un énorme coup en cet an 1978 avec un tel chef d’œuvre. Il sera difficile, voire impossible, de faire aussi bien, aussi homogène dans la qualité.