Un pièce maîtresse de choix

Sculpté dans le diamant, métallique et mélodique, aussi sombre que lumineux... "Stained Class" est un bijou de conception et une pièce maîtresse de choix si vous devez découvrir Judas Priest en "douceur". Véritable pionnier de la musique dite "Heavy Metal" et chef de file du genre, les débuts de Judas Priest sont pourtant foncièrement "hard rock" et il est difficile de les démarquer d'un "Led Zeppelin" ou d'un "Queen" sur un album aussi fabuleux que "Sad wings of destiny" qui, bien que possédant déjà la patte "Judas Priest" empruntait aussi bien à l'un ou à l'autre groupe légendaire certains aspects : une fibre légèrement blues et un chant haut perché (pour Led Zeppelin) et une tendance aux structures progressives et audacieuses (pour Queen).

Si "Sin after sin" avait montré que le groupe était capable d'allier une certaine lourdeur et une certaine rapidité (véloce pour l'époque mais somme toute relative avec du recul) tout en abreuvant l'auditeur de mélodies soyeuses et parfois mémorables, "Stained Class" reprend la plupart des éléments développés sur les albums précédents mais va plus loin...et fait encore mieux! Le gros point fort de l'album c'est ce son : certes, il n'est pas très agressif et on est loin de la violence d'un "Painkiller" ou du tranchant de "British steel" mais qu'est-ce que c'est bon et qu'est-ce que ça fait du bien par où ça passe! Le son est à la fois métallique et froid tout en faisant la part belle aux mélodies qui sont toutes originales, savoureuses et qui distillent une ambiance sombre et vénéneuse.

L'ensemble est homogène tout en étant remarquablement fin et précis, la plupart des morceaux mettant en avant un riff d'une efficacité remarquable ou un refrain entêtant. "Exciter" démarre l'album sur les chapeaux de roue avec un riff de guitare tranchant et acéré et une vitesse remarquable, les solos de guitare centraux du morceau viennent donner une dimension triomphante à celui-ci. Mais l'atout majeur du groupe reste, outre la paire de divins guitaristes K.K Downing/Glenn Tipton, le chant du grand Halford : capable des plus belles prouesses que l'on puisse imaginer...rivalisant avec Plant ou Mercury à de nombreuses reprises, son chant est tout à la fois mélodique et menaçant, aérien et chaleureux la plupart du temps...il contribue à lui seul à donner une esthétique toujours bien particulière au groupe.

Parmi les chefs d'œuvres présents ici on retiendra deux des classiques qui ont valu au groupe la tourmente des fausses accusations de messages subliminaux (le procès qui relate cette sinistre affaire est disponible facilement sur you tube et porte le même nom que le chef d'œuvre du groupe "Dreamer deceiver") : "Better by you, better than me" et "Beyond the realm of death". Le premier (une reprise à l'origine) fait la part belle à un groove irrésistible, à un riff fédérateur et à une performance éblouissante de Halford (pour changer un peu), tandis que le mythique "Beyond the realm of death" nous remontre tout le talent de Judas Priest dans une veine progressive délectable où acoustique et électrique se superposent de façon binaire tout en déployant une atmosphère souterraine et crépusculaire. Un très grand morceau qui justifie à lui seul l'écoute du disque et dont les solos de guitare d'une immense pureté présents ici n'ont guère à envier à certaines prouesses de Pink Floyd.

Stained Class est aussi un album "presque" charnière dans la discographie du groupe : le rock à tendance blues et progressive des tous débuts étant légèrement démenti par ce son froid et métallique, l'album suivant sorti la même année "Killing machine" lorgnant déjà plus vers le hard rock "classique" (mais d'excellente facture). Alors, oui "Stained Class" n'est pas aussi connu ou mythique qu'un British Steel ou un Painkiller mais il n'empêche qu'en terme de subtilité et de propositions mélodiques il les écrabouille et mérite d'être considéré comme autant indispensable que ceux-ci (si ce n'est plus).

Stained Class n'est ni foncièrement rock ni foncièrement metal...là est sa subtilité et son intérêt...si Judas Priest était un banal groupe de rockeurs singeant du AC/DC ils ne mériteraient pas leur statut de groupe culte et cet album est là pour le prouver!