STARLESS AND BIBLE BLACK : PLONGÉE DANS LES TÉNÈBRES
En 1974, le professeur Fripp et son équipe nous gratifie d'une nouvelle galette. Après le monumental Lark's tongue in aspic, le groupe décide de pousser encore plus loin l'expérimentation, en utilisant le terreau fertile de la scène. Exit le coté farfelu de Muir, parti faire le moine, place au vrai talent technique des sieurs Fripp/Wetton/Cross and Bruford. Ces derniers exploitent le principe du vinyle pour nous offrir 2 faces assez distinctes.
La première, la plus faible également, est un melting pot de morceaux joués live (the mincer par exemple, assez brut de pomme d'ailleurs) ainsi que de morceaux écrits et répétés en studio (the great deceiver, dont les paroles contiennent la seule contribution de Fripp sur toute la carrière du groupe). Les morceaux, bien qu'étant loin d'être mauvais, demande une certaine exigence à l'auditeur, je pense particulièrement we'll let you know. On se dit que c'est pas du bruit mais de l'avant garde. N’empêche on peut quand même se demander si le groupe prêche pas un peu dans le désert avec ce genre d'exercices.
La seconde face quant à ellle renferme le joyau de l'album. Après une écoute difficile de la première, l'auditeur est récompensé de sa foi par 2 monuments du prog, joués live et pratiquement pas retouchés. Le roi pourpre réitère ici un schéma final semblable à l’album précédent, à savoir improvisation sublime et dérangeante servant de préambule à une tempête de math rock. Starless and bible black, offre un crescendo implacable, où tout n'est que sanglots stridents de guitare, nappes de mellotron, le tout porté par une section rythmique éblouissante. Après 6 minutes de montée en puissance, la bête se rendort pour quelques instants avant le carnage final.
Et le carnage final parlons en. Le fabuleux Fracture (qui je pense décrit l'état de votre tympan après écoute) démarre par une série de motifs rythmiques complexes pour aboutir sur le riff principal du morceaux, rappelant celui de la part 1 du lark's tongue in aspics. Les atmosphères s’enchaînent et s’entrelacent pour finir en un final strident et empreint d'une tension rarement égalée dans l'oeuvre du King Crimson. Ce morceau, à mon sens le meilleur de toute la carrière du roi pourpre, mérite à lui seul l'achat de l'album. Ecrit par Fripp seul en guise d'entrainement personnel (il s’astreignait à le jouer constamment pour pouvoir le passer chaque soir en live sans un seul pain), le niveau technique est ahurissant. Pour un guitariste, arriver à passer la partie des 2min50 jusqu'à l’accalmie vers 6min30 sans faire un seul paté tient du miracle. La partie finale, beaucoup plus simple malgré sa rythmique en 5/4, apporte une jouissance prodigieuse, surtout à très fort volume.
Starless and Bible Black est donc un album assez méconnu, même chez les adeptes du genre. Il recèle cependant 2 immenses joyaux qui s'ils avaient été mis sur l'album suivant, l'aurait transformé en l'un des plus grand chefs d'oeuvre du rock progressif.