Starmania (OST)
7.5
Starmania (OST)

Bande-originale de Michel Berger et Luc Plamondon (1978)

L'année 2022 s'accompagne de l'arrivée d'une nouvelle version de Starmania, mise en scène par Thomas Jolly. L'énième retour d'un classique de la comédie musicale française est l'occasion de célébrer "l'actualité" d'une œuvre dont les morceaux peuplent aujourd'hui encore la programmation des stations de radio et les recoins de la mémoire des auditeurs. Les récompenses aux Molières et le succès commercial de cette nouvelle édition ont agi comme une confirmation de l'intemporalité du spectacle. Une question subsiste néanmoins : qu'est-ce qui constitue le caractère éternel de Starmania ?


Si la science-fiction autorise de pousser à l'extrême les travers de notre société pour en imaginer les potentielles conséquences, un léger frisson nous parcoure lorsqu'on constate qu'en 2023, l'univers de Starmania n'est pas si fictif que cela. Le spectacle dépeint une société fondée sur l'aliénation au travail, la négation de l'individualité, une surimportance du divertissement, une élite politique corrompue... des thèmes nombreux, denses. À tel point qu'une certaine impression de flou circule autour de l'oeuvre. Certes Plamondon semble chercher à dénoncer des travers, mais ces derniers sont tellement nombreux qu'on finit par perdre le fil du propos. Pour autant cela n'apparaît pas tant comme un problème. Cela peut même être une qualité : Starmania offre un cadre aux limites bien tracées, sans pour autant trop peindre sur le tableau. Chaque spectateur verra alors dans l'oeuvre ce qu'il a envie de voir.


Starmania, c'est également une certaine forme de noirceur. On a rarement vu une comédie musicale aussi sombre et dépressive. Tous les personnages peuplant l'oeuvre semblent en fin de vie, perdus dans un monde où il ne semble pas exister de place pour exprimer ses propres désirs : "Qu'est-ce que je vais faire de ma vie ? / Moi j'ai envie de rien" (Complainte de la Serveuse Automate), "J'ai passé ma vie / A ne rien faire que ce qu'on m'a dit " (Les Adieux d'un Sex-Symbol) ; "J'ai réussi et j'en suis fier / Au fond je n'ai qu'un seul regret / J'fais pas ce que j'aurais voulu faire" (Le Blues du Businessman)


Les exemples abondent pour illustrer les drames intimes de personnages en lutte pour défendre leur singularité contre l'injonction à "rentrer dans le moule". Il y a toujours une petite musique intérieure qui agit en nous comme une objection, orientant notre trajectoire vers quelque chose "d'anormal" : devenir travesti, chanteur de rock ou simplement cultiver des tomates au soleil. Renier cette musique, c'est se renier soi-même.


Phénomène individuel complexe, le suicide peut être également pris comme une violente et irrémédiable défense de notre individualité, face à la pression de l'universalité. Au moment où ces lignes sont écrites, un article annonce que Kim Jong-Un a "interdit" le suicide en Corée du nord. Le pouvoir de la loi s'étend jusqu'à interdire la dernière possibilité de choix, le dernier bastion d'expression personnelle.


L'intemporalité de Starmania semble aussi liée à la particularité de la solution trouvée par ces personnages. Dans un univers où l'on ne trouve plus sa place ("Il n'y aura plus d'étrangers / On sera tous des étrangers" (Monopolis)), où il est impossible de créer une aire à la taille de nos désirs, il ne reste plus qu'à chanter et danser notre souffrance.

L'art, surtout quand il s'exprime par l'intermédiaire du corps, est toujours un échappatoire. L'exemple le plus éclatant étant sûrement ce moment de grâce qu'est "le blues du businessman" : bien que la puissance du protagoniste tutoie les sommets, c'est toute une complainte qui est exprimée, remettant au centre de la vie l'importance de l'art.


A l'époque de la création de Starmania, la France était encore peu encline aux opéras rock. Plamondon et Berger ont quand même décidé de forcer le passage, proclamant fièrement leur refus des conventions à travers une oeuvre performative.


La noirceur de l'oeuvre, loin d'agir comme un pigment assombrissant un tableau, semble au contraire garante de son succès et son rayonnement. Les révolutionnaires du récit, les bien nommés "Étoiles Noires", démontrent l'importance de lutter pour protéger les fondations de sa propre existence, en reprenant le contrôle des projecteurs pour rediriger la lumière sur des vérités tapies dans l'ombre.


Aucune étoile n'est éternelle. Elles finissent invariablement par mourir lorsqu'elles n'ont plus assez de matériau pour poursuivre la réaction de fusion interne qui leur donne leur pouvoir de brillance. Suffisamment lumineuse pour éclairer le monde, suffisamment loin de nous pour que nous ne puissions en décortiquer le coeur, "Starmania" s'impose comme une étoile défiant les lois de la physique. Posons l'hypothèse que cela est lié à la nature de son carburant : le caractère inéliminable, indomptable et contradictoire du désir humain.

Mellow-Yellow
7
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le 11 juil. 2023

Critique lue 28 fois

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