Depuis la sortie de Their Satanic Majecties Request, les évènements se succèdent à la vitesse de l’éclair pour les Rolling Stones. Ils sortent Jumpin’ Jack Flash qui ouvre la période dorée du groupe et qui sera suivi de près par l'immense Beggars Banquets qui marquera une rupture avec Brian Jones dont l’influence peine à se faire sentir et une prise de contrôle du duo Jagger/Richards.
Puis Richards découvre une nouvelle façon de s’accorder (l’open tuning en sol, et en retirant la 6ème corde de la guitare) et Brian Jones quitte définitivement ce monde un mois après s’être séparé des Stones, remplacé par Mick Taylor. Les deux guitaristes n’apparaitront que de manières anecdotiques sur Let It Bleed. Ils retrouvent la scène après deux ans et demi d’absence à Hyde Park, rendant hommage à Brian Jones mort deux jours auparavant, tout en présentant leur nouveau guitariste.
Enfin, les années 1960 se finissent de manière tragique avec le concert gratuit donné sur le circuit d’Altamont qui verra un jeune noir de 18 ans assassiné par un Hells Angel (alors payé en bière pour se charger de la sécurité), prétextant qu’il pointait une arme vers la scène.
(Voilà, fin du long historique !).
Les sessions de Sticky Fingers débutent réellement durant celle de Let It Bleed puis sont poursuivies notamment en Alabama. C’est aussi le premier disque à être produit par le label Rolling Stones Records (chez Virgin) et qui contient le célèbre logo de la langue rouge.
Si on ouvre la braguette zippée de la pochette signée Andy Warhol (c’était vraiment une braguette sur les vinyles d’origine), on y trouve un monument, un diamant brut, l’un des chefs d’œuvres des Stones. Le son est unique, à la fois moderne et traditionnel, c’est la première vraie collaboration de Mick Taylor en tant que guitariste à un album studio des Stones et il apporte toute sa virtuosité au groupe. Ils trouvent l’osmose parfaite entre rock, blues, folk, country ou improvisation, et l’ajout de cuivre comme élément à part entière est un vrai plus (et en particulier avec Bobby Keys au saxophone), tout comme les claviers où Ian Stewart et Nicky Hopkins sont là aussi impeccables. Si Mick Taylor apporte cette touche virtuose, Keith Richards offre des compositions dantesques et Jagger est au sommet de sa forme.
How come you taste so good ?
Dans Sticky Fingers, Mick Jagger parle énormément de drogues (enfin, le sexe est toujours présent, évidemment) et l’album s’ouvre sur Brown Sugar, hymne à l'héroïne. Devenu un classique de la troupe à Jagger, le titre s’avère d’une très rare efficacité, Keith Richards joue un riff d’enfer, Bobby Keys un superbe solo de saxophone et Jagger évoque les perversions sexuelles et donc la drogue (Brown Sugar n’est autre que le surnom de l’héroïne brune). Cette étincelante entrée en matière contraste avec la magnifique conclusion, la fantastique ballade acoustique Moonlight Mile, avec son atmosphère envoutante (qui doit tellement à Mick Taylor) et ses magnifiques arrangements pour les cordes.
Wild horses
Couldn't drag me away
Entre temps, les Stones sont aux sommets et ne propose que des chansons mémorables. On y trouve des balades comme l'immense Wild Horses, datant des sessions de *Let it Bleed et dont on ressent l’influence de l’ami de Keith, Graham Parson qui l'a reprendra un an avant la sortie de l'album. Richards avait d’abord composé cette chanson pour son fils mais Jagger changea toutes les paroles pour en faire une allusion à la drogue dure. Dans la lignée plus en douceur du groupe, il y a la superbe chanson I Got the Blues, une immense chanson où le groupe explore avec brio des facettes que l'on ne lui connaissait pas. Sister Morphine, co-composée par Marianne Faithfull, monte en intensité, elle est magistrale, d'une grande puissance et brille grâce, notamment, à la slide guitare de Ry Cooder.
It's a bitch, alright
Bien évidemment, le groupe n'oublie pas ses origines rock, à l’image de la puissance Sway (sur laquelle Richards, bien que compositeur, n'est pas crédité) avec la slide mémorable de Mick Taylor et Bitch où Keith fout une vraie claque dans la tronche avec un riff dont il a le secret, bien aidé aussi par la section des cuivres qui fait des merveilles sur ces deux morceaux. Sur Bitch, Jagger est déchaîné (pas besoin de préciser pour les paroles) alors que Watts et surtout Wyman assure comme rarement avec une basse inoubliable.
Can't you hear me knockin' ? Yeah
Et en parlant de riffs d’anthologie, que dire de Can’t you Hear me Knocking où Mick Taylor vient répondre au riff de Richards ?
Pour l'unique fois de leur carrière, les Stones sonnent comme Santana, et ce sont sept minutes somptueuses et intenses, qui verront le groupe partir en improvisation comme rarement. Tout est fantastique dans cette chanson, les guitares, l'orgue de Bill Preston, le sax de Bobby Keys et l'atmosphère dingue qui se dégage de ce morceau.
Take me down, little Susie, take me down
Lorsque les Stones renouent vraiment avec leurs racines, ça donne You Gotta Move, un blues fantastique du Révérend Gary Davis, qui monte aussi en puissance, tandis que la superbe chanson country Dead Flowers, évoquant, oh tient c'est bizarre, la drogue, complète parfaitement Sticky Fingers. Sur tout l'album, les musiciens sont excellents et surtout, inspirés comme rarement, il y a une vraie alchimie entre eux que l'on ressent dans l'atmosphère parcourant l'album, une atmosphère roots, presque sudiste et authentique. Et il y a Mick Taylor, il se permet quelques excellentes envolés solistes, lui qui n’a que 21 ans à l’époque (mais déjà une belle expérience derrière lui, notamment avec John Mayall).
Les Rolling Stones sont au cœur de leur âge d'or, ils sont au sommet, composent et jouent comme rarement et, derrière la braguette de Sticky Fingers se cache un véritable diamant brut. De Brown Sugar à Moonlight Mile, l'album est parfait, aucune fausse note, des chansons mémorables et une véritable atmosphère traversant l'album, le groupe maîtrise ses fondamentaux et, tout en restant authentique, va découvrir de nouveaux horizons.
Par la suite, ils iront s’enfermer dans la villa de Keith Richards dans le sud de la France, pour le résultat que l'on connaît.
Petit point réédition :
La réédition 2015 est plutôt intéressante pour les lives qu'elle apporte, 5 titres captés en 1971 à The Roundhouse, et en particulier une immense version de leur opéra blues Midnight Rambler. Les versions alternatives, déjà connus par les amateurs de bootlegs, sont intéressantes mais ne dépassent pas le stade de curiosités, même si la version de Brown Sugar vaut pour l'apport d'Eric Clapton.
Face A :
Brown Sugar
Sway
Wild Horses
Can't You Hear Me Knocking
You Gotta Move
Face B :
Bitch
I Got The Blues
Sister Morphine
Dead Flowers
Moonlight Mile