La musique classique ne se limite pas aux romantiques allemands ou aux compositeurs d’opéras italiens. La France peut s’enorgueillir avec Hector Berlioz (1803-1869), d’avoir engendré un talent hors normes qui fait partie des incontournables, même si peu de ses œuvres sont passées à la postérité et restent régulièrement jouées. Mais une seule œuvre peut faire la gloire d’un artiste, c’est un peu le cas de cette symphonie fantastique, op. 14, créée le 5 décembre 1830 au conservatoire de Paris sous la direction de François-Antoine Habeneck (une première programmation ayant été repoussée pour cause de répétitions houleuses, la difficile partition ayant déconcerté les musiciens). Elle a été composée par Berlioz en février et mai de la même année (le compositeur avait 27 ans), mais son inspiration remonte à 1827, année où il assista à Paris à une représentation de Hamlet de William Shakespeare (en anglais, qu’il ne comprenait pas) où l’actrice irlandaise Harriet Smithson interprétait le rôle d’Ophélie. L’impression de Berlioz était si forte qu’il voulait à tout prix séduire l’actrice. Lui ayant écrit en vain, il conçut le projet de la conquérir par sa musique.


Le titre exact de la symphonie est « Episode de la vie d’un artiste, symphonie fantastique en cinq parties ». Il s’agit donc d’une œuvre à programme, pour laquelle chaque mouvement porte un titre (en plus des indications de tempo habituelles) :


1 – Rêveries – Passions (Largo – Allegro agitato ed appassionato assai)
2 – Un bal (Valse : Allegro non troppo)
3 – Scène aux champs (Adagio)
4 – Marche au supplice (Allegretto non troppo)
5 – Songe d’une nuit du Sabbat (Larghetto – Allegro – Ronde du Sabbat : Poco meno mosso)


https://www.youtube.com/watch?v=P0jhkYx2x5Y


Composée 6 ans après l’ultime symphonie de Beethoven, la symphonie fantastique occupe une position clé dans l’histoire de la musique classique, car elle innove au point d’annoncer l’univers symphonique de Mahler avec ses sonorités si particulières. Berlioz ose des interventions très personnelles en particulier avec les instruments à vents (troisième mouvement) et une atmosphère comme personne n’avait encore imaginé.


L’œuvre ouvre la voie au romantisme le plus fou en France. La même année a vu les partisans des règles traditionnelles du théâtre et de l’innovation romantique s’affronter à propos d’Hernani, la pièce de Victor Hugo. La même année voit la fin de la seconde Restauration et la chute de Charles X avec « Les trois glorieuses » (journées des 27, 28 et 29 juillet). Avec l’audace de son génie, Berlioz fait de son obsession amoureuse, une œuvre révolutionnaire où il se raconte sans pudeur, allant jusqu’à distribuer le programme détaillé avant le jour de la création. Le thème qui revient dans chacun des 5 mouvements (un nombre qui bouscule l’ordonnancement habituel des 4 mouvements), rappelle son obsession pour Harriet sous la forme d’une idée fixe. L’atmosphère évoque son mental dérangé par cette obsession et l’évolution de son état d’esprit. Le premier mouvement, assez long, installe l’ambiance et les thèmes principaux. Le second mouvement crée une fausse impression allègre très agréable. Dès le troisième mouvement (hommage à la symphonie Pastorale de Beethoven), des sonorités étranges font sentir que la musique évoque l’univers particulier des songes, en particulier par les interventions des instruments à vents. Impression qui ira crescendo jusqu’au cinquième mouvement qui cherche, avec une très belle inspiration, à rendre palpable quelque chose de démoniaque (le narrateur – Berlioz - est sous l’emprise d’un opiacé). L’intervention d’un carillon marque les esprits, trois notes Ding… Ding… Dooong (comme le glas annonçant une mort) suivies d’une ronde qui peut faire penser à un ballet de sorcières emportant l’âme du défunt en Enfer (justifiant le choix de l’illustration de la pochette : Le sabbat des sorcières de Goya). Les cinéphiles ont peut-être remarqué que cette partition arrangée et déformée accompagne le tout début du film Shining de Stanley Kubrick, quand Jack Nicholson et sa famille sont en route pour emménager dans l’hôtel où ils vont vivre quelques mois particulièrement éprouvants.


Avec cette symphonie, Berlioz marque les esprits, non seulement par le programme annoncé, mais par la forme (5 mouvements comme pour la symphonie Pastorale), l’ampleur de l’orchestre utilisé (nombre impressionnant de violons et place importante accordée aux vents, intervention remarquable des percussions), les contrastes et mélodies. Pour résumer, il donne littéralement en spectacle les tourments de son âme désespérée par un violent amour qu’il considère comme impossible.


L’interprétation du Concertgebouw Orchestra d’Amsterdam (dirigé par sir Colin Davis) date de 1974, soit bien avant l’ère du numérique. Un enregistrement qui a fait l’objet de plusieurs rééditions et dont l’équilibre, l’enthousiasme, la dynamique sont tellement bien vus qu’on y revient immanquablement (dans mon cas, après avoir acheté une version dirigée par Daniel Barenboim (1984) et surtout après avoir redécouvert cette symphonie lors d’un concert à la halle aux grains de Toulouse il y a environ 2 ans). Toutes les intentions du programme annoncé par Berlioz sont là, bien mises en valeur. A savoir quand même, cette symphonie a fait l’objet de dizaines d’enregistrements qu’il faudrait des journées pour tous écouter. D’après mes recherches, l’enregistrement par Rafael Kubelik dirigeant l’Orchestre Symphonique de la radio bavaroise (2-5 septembre 1981) mériterait la découverte. Parmi les enregistrements plus ou moins anciens réputés, figurent celui de Bruno Walter (19-20 mai 1939) à la tête de l’Orchestre des Concerts du Conservatoire et celui de Pierre Monteux (20-24 octobre 1958) à la tête du Philharmonique de Vienne ainsi que l’enregistrement des 23-26 octobre 1967, avec Charles Munch dirigeant le tout jeune (fondé un mois auparavant) Orchestre de Paris. Enfin, version moderne peu connue, celle de Michael Tilson Thomas (1er juillet 1998) dirigeant l’Orchestre Symphonique de San Francisco.


Epilogue : Ils se marièrent et vécurent heureux un certain temps, mais ils n’eurent pas d’enfant. En effet, ayant assisté à une représentation de l’œuvre, Harriet finit par accepter de rencontrer le compositeur. Sa flamme la séduisit et elle accepta de l’épouser, contre l’avis de ses parents.


Mon avis :



  • Valeur artistique de l’œuvre : 9

  • Qualité de l’interprétation : 9

  • Qualité technique de l’enregistrement : 9

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le 21 févr. 2018

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