Ai-je aimé Tales from Topographic Oceans ? Un peu. Était-il plaisant à l'écoute ? Assez. Mais était-il bon en comparaison du reste de la discographie de Yes de l'époque ? Ça, c'est non. Entre l'incroyable Close to the Edge (1972) et l'expérimental Relayer (1974), Tales (abréger, c'est bien), sorti en 1973, ressemble à un rendez-vous manqué avec le succès ; au lieu d'être une merveille du Monde de la musique, il n'a provoqué que des critiques mitigées et une sale réputation d'album prétentieux qui éclaboussera le prog-rock. Il faut aussi dire que les étoiles n'étaient pas alignées : après Fragile (1971) et Close to the Edge, Bill bruford, membre du groupe et batteur emblématique du jazz-fusion, avait décidé de tâter du côté des fous furieux de King Crimson et de laisser Yes en plan, considérant que sa performance sur ce dernier album était le maximum qu'il pouvait réaliser au sein de ce groupe. En réponse, les membres restants (donc Howe, Anderson, Squire et Wakeman), choisirent Alan White, qui avait déjà fait ses preuves sur la Batterie du Plastic Ono Band. Mais, avouons-le, Yes en a perdu au change. Le groupe se mit alors en ordre de bataille pour tenter l'irraisonnable : un immense concept-album fait de deux disques traitant de la spiritualité des Yogis. Et ce en un an. Monumentale erreur, aurait dit Schwarzie ! Un double-album, avec une heure vingt de matériau, il faut le laisser vivre. Les cas de Physical Graffiti (1975) pour Led Zeppelin et de The Wall (1979) pour Pink Floyd, produits tous deux en deux ans, montrent bien qu'il faut laisser le temps aux idées de prendre leur maturité pour que les chansons puissent "fleurir". En fait, les idées dans Tales sont aussi nombreuses que dans Close to the Edge, mais il faut combler deux fois plus d'espace avec, et c'est justement ça le problème, et qui est à la source de bien d'autres dans l'album.


Déjà premier problème, mais le plus gros : les titres sont trop longs, 20 minutes par titre environ. Désolé de le dire, cap'taine, mais des fois on s'emmerde ferme. Bien sûr, on va me dire "Mais enfin, c'est l'âme même du progressif de faire des titres à rallonge ! Regarde Karn Evil 9 ! C'est un seul titre de 30 minutes et tu aimes pourtant !". Je pourrais répondre que Karn Evil 9 a plusieurs mouvements de 7 à 10 minutes, qui peuvent se répondre entre eux mais n'ont absolument pas le même objectif ni le même fil rouge. Ici, les titres de vingt minutes sont d'un seul bloc ; ils sont donc terriblement rigides et longs. En réalité, c'est le plus gros problème de l'album, car si jamais le groupe était parvenu à synthétiser ces idées dans un album simple de 45 minutes, sans rien changer d'autre que la longueur de la composition et de la suppression des éléments superflus, on serait à un 8 ou un 9 sur 10 digne de Fragile


Autre problème, qui est au final la cause de la première : les solos à rallonge. J'avais cru lire quelque part (serait-ce dans le sacro-saint Wikipedia ?) que Steve Howe voulait faire des solos assez longs parce qu'il pensait, en se référant à Frank Zappa, que c'était le public qui réclamait ces solos. 3 raisons qui prouvent que c'est une mauvaise idée :
- Les gens N'AIMENT PAS les solos trop longs et s'emmerdent ferme, justement.
- Steve Howe ne sait pas trop quoi "dire" dans ses solos de guitare et fait quelques fois des redites : j'avais cru entendre une mélodie plusieurs fois dans ses solos, ainsi que le riff principal de Close to the Edge dans Ritual. On pourrait dire que c'est une "citation meta", mais pour moi c'est juste une perte d'inspiration.
- Ça fait terriblement "concurrence d’egos". Howe occupe une trèèèèès grosse place dans ces chansons et laisse peu la place à Wakeman de pouvoir faire ce qu'il souhaite.


Troisième problème : Rick Wakeman. Le manque d'investissement était total et les parties de synthé furieusement mornes, dignes d'un disque d'ambiant avant l'heure. D'un autre côté, il y a une grosse différence entre des membres de Yes camés, vegan et hindouistes et Rick Wakeman qui, en parallèle, sortait dans les pubs avec Black Sabbath et les aidait à boucler leur propre album (il a joué dans Sabbra Cadabra, notamment). La direction que prenait le groupe, qui semblait un peu s'en foutre de son claviériste, allait avoir raison de Rick qui allait se casser peu après la sortie de Tales.


Enfin, dernier petit point, je trouve que certains titres, notamment The Remembering, ressemble à un immense patchwork dont on essaie de cacher les coutures par des transitions un peu bancales. On sent malgré tout, quand même, que ce sont des collages de titres pas terminés ; Yes le faisait déjà bien auparavant, ils n'allaient pas s'en priver à présent.


Mais malgré tout, j'ai toujours une sorte de plaisir coupable pour cet album, ou plutôt pour son premier disque. The Revealing Science of God est très sympa et The Remembering pas trop mal. On peut encore pardonner à Ritual de n'être juste qu'un faire-valoir pour les solos de Steve Howe (seules les quatre dernières minutes valent réellement la peine), mais The Ancient ne mérite pas ma pitié. Disque en demi-teinte, vous le devinez. Si je suis si cassant avec les tarres de cet album, c'est qu'il est enchâssé entre deux chefs-d'oeuvre ; mais ce serait comme regretter une médaille de bronze dans son palmarès olympique serti d'or et d'argent. C'est là, en fait, que le bât blesse : car au final, Tales est un album OK, pas trop mal. Mais pour un groupe comme Yes, qui avait écrit South Side of the Sky et Siberian Khatru, même un disque passable est une cuisante défaite.

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le 19 juin 2020

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