Sorti le 25 Mai 2018, le troisième album d’A$AP Rocky n’a – pour la moindre des choses – pas trouvé son public mais m’a bien trouvé, moi. J’y vois le travail le plus ambitieux, protéiforme, expérimental de l’artiste et je l’ai trouvé excellent : voilà pourquoi.
L’effet Yeezus
Quand Kanye West sort en 2013 son provocateur Yeezus, le grand public chauffé à blanc, a comme rejeté toute la première partie du projet pour son agressivité, sa bestialité, sa couleur grège. Kanye fait le pire démarrage de sa carrière avec une première semaine à 327 000 exemplaires mais une seconde à 65 000 soit une chute vertigineuse de plus de 80% des ventes. La seconde plus accessible puisqu’un peu plus en lien avec le Kanye connu, a bien joui de cette lisibilité, les streams en témoignent.
Côté contenu, Kanye broie, bourdonne, bastonne un hip-hop violent, guttural, électro et déploie sur des lignes de basses hostiles un tempo déplacé, un discours acide sur la race blanche, le sexe, la maille et la crasse de la notoriété. Bilan ? La critique le salue, HipHopDX le sacre parmi les « 25 meilleurs albums de 2013 ».
Testing, deux ans après sa sortie, est en ce sens comparable à Yeezus puisqu’il semble être le projet le moins unanimement partagé par le public de Rocky. Testing divise, Babooshka Boi partage sa déception dans ses interviews.
Clinical testing a patient named Rocky
Avant d’aller plus en avant cette partie, je crache tout de suite mon argument le plus fort : cet album est incroyable. Et s’il est incroyable, on le doit aussi en partie à la qualité de l’équipe par laquelle il a vu le jour : produit par Hector Delgado (Producteur et directeur musical d’A$AP Worldwide) et Boy-1da (a travaillé pour Clipse, Jaz-Z, Talib Kweli, Nas, G-Unit, la liste est encore bien longue…), l’album se pare d’excellents featurings (Kid Cudi, Skepta, FKA Twigs, …). Le commensalisme de tous ces talents gicle de tous les côtés une atmosphère remarquable, un brouillard bitumineux, une esthétique laborantine, narcotique.
C’est d’ailleurs ainsi que se construit le projet : une expérience de laboratoire, mesurée, déviante, consciencieuse. On vous appâte d’abord par des bangers faciles mais très (très) efficaces comme « Praise The Lord » ou « A$AP frvr » puis, à la mode MK-Ultra, vous glissez déjà hors des sentiers rationnels pour un trip psychédélique déstabilisant, psychique, sur « Changes » ou « Kids Turned Out Fine » par exemple.
C’est là que les chercheurs sonores aux projets insidieux plantent leurs scalpels et vous ouvrent sur les sonorités et les tentatives les plus remarquables et qui sont pour moi l’âme de Testing. « Buck Shots » est symptomatique de la qualité du travail de l’ingénierie sonore et de la direction artistique, de la volonté de Rocky : c’est une pépite d’expérimentation auditive. Plus encore ! On exploite de nouveaux fonds audios, on innove : « CALLDROPS » fait poser Kodak Black du téléphone de la prison vers les sillons de cet ouvrage moderne, sensationnel.
Les raisons de ma colère
Mais alors pourquoi ? Pourquoi ? Dis-nous pourquoi Arly Arly cet album n’a pas reçu les retours qu’il méritait côté public ? Pourquoi, s’il est si bon ?
Bah de deux choses l’une. D’abord, c’est en pleine explosion Pusha-T/Drake que l’album sort (Pusha-T répond au canadien le même week-end de la sortie de Testing), tous les projecteurs sont rivés. Tout le monde regarde à côté. On veut du sang, on ne veut pas de la finesse et quoique j’avoue adorer ces évènements pour le prolifique des productions qu’ils entraînent, c’est Rocky qui en a payé les frais.
Enfin, Testing arrive après « A.L.L.A » qui déjà ne satisfaisait pas les aspirations des fans à un retour au Rocky des origines. Alors peut-être se sont-ils impatientés, peut-être n’était-ce pas le moment. Peut-être était-ce trop spécial, trop en-dehors. En un mot, trop injuste.
Quoi qu’il en soit réécoutez-le, cet album est exceptionnel.