"The Heartbeat in LA"

Bon, je vais pas y aller par quatre chemins, That Lucky Old Sun est d'après moi la plus grande oeuvre écrite par Brian Wilson depuis Pet Sounds. Une pure merveille d'écriture et de composition. J'aime voir cet album comme une sorte de suite de SMiLE. Alors que la première partie était une sorte de récit poétique extrêmement ambitieux, retraçant l'histoire des Etats-Unis de la Conquête de l'Ouest du XIXème siècle jusqu'à la Californie des années 60 (avec ce final en apothéose qu'on connaît tous), cette seconde partie est cette fois-ci beaucoup plus personnelle, centrée sur Brian Wilson et sur la relation qu'il entretient avec l'Etat de son enfance...
Cet album est donc un album-concept partant d'une idée assez originale mais très risquée : centrer l'album autour la chanson traditionnelle "That Lucky Old Sun", écrite en 1949 par Beasley Smith et Haven Gillespie et reprise par entre autres, Ray Charles, Aretha Franklin, Jerry Lee Lewis, Willie Nelson, Sam Cooke ou encore Bob Dylan. Cette belle chanson, de par le contraste intéressant qu'elle opère entre la difficulté de la vie quotidienne du chanteur et la simplicité des éléments de la Nature, correspendait parfaitement à Brian Wilson (je ne comprends d'ailleurs vraiment pas pourquoi cette chanson n'a pas été reprise avant). Le thème musical de la chanson-titre revient donc très régulièrement dans l'album, comme un leitmotiv de symphonie.

La face A est de l'album est tout simplement un pur plaisir à l'écoute. "Morning Beat" est un excellent rock and roll. Ce genre de morceau qui a le pouvoir de mettre le SMiLE même dans les moments difficiles. "Good Kind of Love" est une excellente chanson d'amour, très entraînante (la voix de Brian Wilson se marie parfaitement avec celle de Taylor Mills) et j'aime beaucoup "Mexican Girl". Les chansons sont d'ailleurs entrecoupées par de très beaux textes à l'inspiration surréalistes écrits et lus par Van Dyke Parks sur un fond musical de Brian Wilson.

Mais le gros point fort de l'album est son medley final un point d'orgue extraordinairement puissant... Ce medley débute avec une version raccourcie de "Can't Wait too Long", une chanson écrite et enregistrée en 1967, prévue pour Wild Honey, mais qui n'est finalement jamais sortie. Puis, arrive "Midnight's Another Day", une œuvre que je considère à l'heure actuelle comme l'une des plus belles de tous les temps. Wilson a lui même déclaré que c'était sa composition dont il était le plus fier ; bon, après avoir déclaré que son groupe préféré était les Bee Gees, c'est vrai, mais c'est quand même pas rien. Cette chanson aborde la période de dépression qu'a connue Brian durant les années 1970 et cette vision désespérée de la vie qu'il aborde poétiquement est vraiment extrêmement touchante. Je pourrai vraiment passer des heures à parler de chaque vers de ce texte extrêmement profond.

"When there's no morning without u,
There's only darkness the whole day through.
Took the diamond from my soul
And turned it back into coal."

Quelle beauté ! Bon je m'attarde pas sur chaque détail que je trouve intéressant parce que c'est clairement pas l'objet ni même l'intérêt de ce genre de critique, mais je vais quand même prendre un exemple parce que j'ai l'impression que beaucoup de gens passent à côté de la finesse d'écriture des paroles. Le "there's no morning without u" n'est évidemment pas orthographié ainsi de manière anodine. C'est une manière de dire qu'il ne vivait durant cette période aucun matin sans "mourning", c'est-à-dire sans deuil et sans tristesse.
Et puis d'un point de vue musical, ce titre est une pure merveille. Moi qui suit très (voire trop) féru de théorie de la musique, j'ai pu passer des heures à analyser la complexité de la composition et de la progression harmonique. Et ne parlons pas de ces arrangements magnifiques interprétés divinement par The Wondermints. C'est très émouvant mais sans en faire des caisses, en restant globalement sobre. Cette chanson s'enchaîne ensuite parfaitement avec une autre reprise de "That Lucky Old Sun" qui cette fois est arrangée à la manière du "The Only Living Boy in New York" sur Bridge Over Troubled Water de Simon and Garfunkel, avec exactement les mêmes harmonies.
S'enchaîne ensuite "Goin' Home", un rock très entraînant mais surprenant après 3 chansons comme celles que l'on vient d'entendre. Le fait d'avoir placé cette chanson à ce moment de l'album m'a vraiment surpris lors de mes premières écoutes... Mais c'est seulement après que je me suis rendu compte que les arrangements de "Goin' Home" était très similaires, voire identiques, à ceux de "Shortnin Bread" sur le L.A. (Light Album) des Beach Boys (1979). C'est en fait une allusion directe à l'obsession maladive qu'avait Brian Wilson pour cette chanson durant la période abordée dans "Midnight's Another Day".
Puis, l'album se conclut de manière grandiose avec "Southern California", une ballade magnifique abordant avec énormément de nostalgie la période de jeunesse de Brian. Une très belle manière de conclure cette belle aventure.

That Lucky Old Sun est un chef d'oeuvre malheureusement oublié, qui est pour moi le meilleur album XXIème siècle (pour l'instant) et s'élève clairement parmi l'un de mes albums préférés de tous les temps (je ferai un jour cette liste impossible proposée par SensCritique, vous inquiétez pas). Si vous ne l'avez pas encore écouté, je ne peux que vous le conseiller.