Plus j’avance dans la discographie de Lou Reed et plus je me rends compte que, à l’instar de David Bowie, il aime changer fréquemment d’univers musical mais que, contrairement à David Bowie, ses compositions restent souvent similaires d’un album sur l’autre. En effet, il ne semble pas essayer de se fondre complètement dans un genre particulier mais préfère distiller des ambiances mélancoliques, raconter des histoires de la vie new-yorkaise ou se laisser aller de façon très désinvolte. Dans The Bells, c’est ainsi le jazz qui vient se confronter au monde de Lou Reed, donnant un album plus chaleureux que d’habitude. Le chanteur en vient même à laisser tomber une bonne part du spleen qui l’anime – et donc de la froideur qui l’accompagne souvent – et livre un album très festif et humain, qui rappelle par certains aspects les deux albums d’Iggy Pop produits par Bowie en marge de sa trilogie berlinoise, à savoir des œuvres énergiques et cathartiques sans recherche musicale particulière. « Disco Mystic » ne dépareillerait ainsi pas sur The Idiot…
C’est donc un grand plaisir que d’écouter Lou Reed de cette manière : il a beau changer fréquemment de registre, soit en adoptant un timbre de voix chaud et concentré comme sur « City Lights » et « I Want To Boogie With You », soit en s’égosillant comme s’il criait depuis l’autre bout de la pièce (« All Through The Night »), il parvient toujours à rester proche de l’auditeur. C’est sans doute dû en partie à l’utilisation du son binaural, mais la joie que ressent Reed a travailler avec les musiciens qui l’accompagnent est manifeste et se transmet facilement. Il varie ainsi les tons, entre chansons très énergiques et presque folles (« Stupid Man », « Disco Mystic », « All Through The Night », « With You ») et d’autres plus posées (« I Want To Boogie With You », « City Lights »), jusqu’à la surprise finale qui constitue la pièce maîtresse de l’album, à savoir le morceau éponyme, longue piste atmosphérique qui se conclut en apothéose par l’irruption de la voix de Lou Reed sur des cuivres hypnotiques avec une emphase inédite dans l’album. Fin parfaite pour une œuvre qui, quelques années après Transformer, se pose comme une nouvelle cartographie de l’activité nocturne new-yorkaise, vie présentée ici de la plus accueillante des façons.