The Big Dream
6.6
The Big Dream

Album de David Lynch (2013)

Une ode à David Lynch, à travers la concomitance de son œuvre musicale et cinématographique.

C’est une démonstration de grâce que Lynch nous dévoile, une nouvelle fois, à ma plus grande exultation.


En effet, nous sommes en 2013 et à travers cette nouvelle production musicale (deux ans après la sortie de Crazy Clown Time), on se trouve face à une sorte de monolithe musical.


Comme le préfigure l’esthétique de l’album, Lynch nous met en garde. La signalétique triangulaire morbide et scabreuse, ancrée sur ce qui semble être de l’acier, corrobore cet aspect éminemment insondable qui se déverse tout au long de l’album. Il faut du temps pour découvrir, petit à petit, les aspérités qui constituent ces sonorités expérimentales de l’ordre d’une matière ascétique et minérale bridée de rythmes parcimonieux. C’est un parcours erratique, parfois hasardeux, d’une vie réelle expérimentée de la façon la plus empirique. La voix nasillarde de Lynch brossant ainsi la capacité à saisir la sensibilité la plus profonde de l’individu.


Imprégnée de rythmiques complexes, de par une ligne de clavier hypnotique absolument ensorcelante, on retrouve dans cette production musicale une force de résonance profonde de l’expression avec des titres comme « We Rolled Together » ou encore « Last Call ». Ainsi, il en émane un parfum de vide existentiel à l’image d’une peinture surréaliste. On en attend quelque chose. On se démène tant bien que mal de piétiner ce sentiment si fallacieux d’ostracisme existentiel, une nouvelle fois. Comme si déceler le sens de la vie grâce aux stratagèmes liés à la psychanalyse (à partir du le rêve) prévalait à tout autre mode de vie. C’est ce que Lynch nous explique. Comme pour mieux rester connecté au monde intelligible et trouver dans la réalité des motifs de satisfaction et d’émerveillement, il fallait se confronter au vide, se jeter dans les abysses. « This night /When we dream/Together. We’ll remember » nous murmure Lynch dans le titre éponyme de l’album.


D’une autre part, « I Want You » ou encore le somptueux bonus « I’m Waiting Here » (en featuring avec la suédoise Lykke Li) frappe l’auditeur si violemment que sa perception en est totalement imprégnée, d’une telle façon qu’il nous semble que Lynch nous dévoile les clés d’un monde parallèle. Un monde où les affres de la conscience valent de soi, là où les formes ne sont plus représentées selon les conventions habituelles de la logique rationnelle.


Mais encore, David Lynch c’est aussi un cinéaste d’un talent incommensurable. Selon moi, aucun de ses compères en la matière n’aura su exprimer mieux que lui, à travers ses films, la tragédie de l’existence de manière si patente. En effet, comme le manifeste son magnum opus Mulholland Drive, la conscience humaine plonge ses racines dans de profondes ténèbres. Une crevasse ouverte par un tremblement de terre de névroses, un trou profond, béant, sombre…Fantasme, rêve, hallucinations, le film symbolise la puissance du simulacre absolu que représente le cinéma. D’une continuité parfaite tout en étant disruptif, avec trop de choses qui échappent à l’analyse. Les vraies raisons, seul l’intéressé peut les comprendre vraiment. Ou peut-être que même l’intéressé ne sait rien.


La synthèse de ces deux médiums est puissante, hurlante, vibrante. David Lynch dénote avec une cohérence absolue, tout en y incorporant des éléments abscons, cette capacité à transformer l’intériorité et les élans inconscients en formes figuratives dans des compositions intenses et obscures. À partir de ce sens tragique de l’être, qu’il interprète de manière si concrète, si pénétrante, si véridique, il parvient à le transformer en une réalité imminente, bouleversante. D’une telle manière que si j’essaie d’épiloguer sur ces thématiques, tout le caractère concret de la chose tendrait à disparaître.


En outre, il est intéressant de noter que la poétique de David Lynch est intrinsèquement liée à celle du peintre Francis Bacon. Ainsi, effectuer une analogie avec l’œuvre de celui-ci me semble être une bonne idée pour illustrer mes propos.


[ Autoportrait, triptyque (1979) Trois études de figures au pied d’une Crucifixion (1944) ]


« J’aimerais que mes peintures donnent l’impression qu’un être humain est passé entre elles, comme un escargot, en laissant une trace de sa présence humaine, de sa mémoire des évènements passés, comme l’escargot laisse derrière lui sa bave ».


Francis Bacon


Telle une peinture du peintre anglais, les éléments humains et bestiaux (réels et oniriques chez Lynch) sont mêlés dans une même déformation et deviennent si impénétrables et si ambigus qu’ils ne permettent pas de distinguer la moindre signification explicite. Ainsi, toute tentative d’identification formelle nous place dans un domaine inconnu, aux frontières duquel la logique conventionnelle est obligée de s’arrêter.


Cet album c’est la réussite de retranscrire sous formes de mélodies planantes et quelques peu toxiques, l’ambiance de l’univers décadent de ce démiurge de l’histoire de l’art. Celui-ci se décline également en une édition avec un disque supplémentaire constitué exclusivement de remixes, comme s’il nous suggérait que nombres d’interprétations de son univers étaient encore à pourvoir…


S’il fallait résumer en quelques lignes la poétique de Lynch, cela reviendrait à une interprétation de sentiments liés à la vie et à l’existence de tout un chacun, mélangeant éléments ésotériques et fantasmagoriques. Extrême jusque l’hystérie et beaucoup plus vraie qu’une quelconque représentation réaliste. À partir de son œuvre, on se retrouve brusquement capable de connaître ce mélange de violence, d’angoisse, de peur, de vide, de désir, de déchéance et de doute de par ces médiums que sont le cinéma et la musique devenant nécessairement constitutive d’une beauté résolument intangible.

Silencio1
7
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le 10 juin 2017

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Silencio1

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