The Blue Mask
7.1
The Blue Mask

Album de Lou Reed (1982)

Près de dix ans après la sortie de Transformer, Lou Reed reprend la photo qui ornait sa pochette pour illustrer celle de The Blue Mask, mais l’artiste a bien changé entre-temps. S’il explorait à l’époque les bas-fonds new-yorkais sous influence glam, on le voit désormais rangé et assagi, délaissant la violence de Rock ’N’ Roll Animal et Metal Machine Music, le rock moqueur de Sally Can’t Dance ou encore la folie de The Bells pour adopter une production sobre et s’en servir afin de narrer la beauté du quotidien. Ce onzième opus se rapproche en cela d’albums plus calmes comme le voluptueux Coney Island Baby (six ans plus tôt) et le très littéraire New York (sept ans plus tard), des œuvres aux qualités certaines, mais pas vraiment le versant de Lou Reed que je préfère.


Passé une première écoute relativement ennuyeuse, les charmes de The Blue Mask persistent pourtant et invitent à la redécouverte. L’album est en effet particulièrement apaisant et, il faut bien le reconnaître, ne contient pas une seule chanson faible. Il y a là une célébration de la poésie – l’ouverture « My House » est dédiée à Delmore Schwartz – et un registre élégiaque qui n’empêchent pas la survenue de touches gentiment ironiques. Il faut ainsi entendre le chanteur déclamer sur le ton de Droopy « I’ve really got a lucky life » (sur « My House ») ou « I love women, I think they’re great » (sur « Women »), ou au contraire affirmer avec énergie sa joie d’être un mec normal sur « Average Guy » (« Average looks, average taste / Average height, an average waist / Average in everything »). Il traite l’alcoolisme avec légèreté sur « Underneath The Bottle », une chanson pas très éloignée du Velvet Underground période Loaded, c’est-à-dire l’époque la plus pop du groupe, et se moque des porteurs d’armes sur « The Gun » à l’aide de paroles très premier degré, menaces proférées avec tant de mollesse qu’elles en deviennent ridicules et que l’arme apparaît bel et bien comme un substitut phallique pour le locuteur. Elle se révèle être ainsi pour ce dernier le moyen de compenser une impuissance tandis que son discours prend des airs de masturbation. Là est le génie de l’écriture de Lou Reed : les paroles ne sont jamais dissociables de la musique, car il aime tant jouer avec les contrastes de ton et de registres que leurs significations peuvent en être bouleversées à la simple lecture.


The Blue Mask s’écoute ainsi comme on lirait un livre. Certains chapitres sont tendres et apaisés (la guitare aérienne de Robert Quine sur « My House »), d’autres furieux (« The Blue Mask » et « Waves Of Fear » qui rappellent les pamphlets énervés de New York), doux-amers (« The Day John Kennedy Died »), voire dépouillés de toute afféterie (« The Heroine »), mais tous concourent à former un ensemble uni qui prend son envol dans la conclusion lyrique « Heavenly Arms » et sous ses apparences mineures fait finalement forte impression.

Skipper-Mike
8
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le 11 oct. 2017

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Skipper Mike

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