The Life And Times Of Mr. West : Ourson, Soul & Mâchoire Cassée (1/11)

Avant, je n'aimais pas le hip-hop. De façon générale.


Quand j'ai commencé à me plonger plus profondément dans la musique, j'avais beaucoup de préjugés envers ce genre que je considérais comme réservé à un club de gros décérébrés pensant uniquement avec leurs muscles et leurs organes génitaux et qui se faisaient un malin plaisir de nous envoyer à la face leurs gros dollars et à montrer qu'ils n'avaient qu'à claquer des doigts pour pouvoir arroser la foule de champagne, gagner des chaînes en or et se taper toutes les femmes. Oh, et bien sûr, qui étaient des personnes qui, certes, pouvaient rapper bien mais qui, en termes de chant, n'arrivaient sûrement pas à l'échelle d'un Freddie Mercury, d'un Trent Reznor ou d'un Noel Gallagher (oui, j'ai préféré citer Noel plutôt que Liam, c'est ma critique, mairde)...


Puis j'ai commencé à en écouter. Et une grosse partie de mes préjugés ont volé en éclats. Je ne voyais que des abrutis, des amateurs d'argent et des pseudo-chanteurs au rabais, j'ai découvert des observateurs fins et modestes de la vie quotidienne, voire des leaders n'hésitant pas à inciter leurs frères et soeurs à changer des choses paraissant révoltantes et qui, par-dessus le marché, ne chantaient pas si mal que ça (en tout cas, pour certains). C'est là que j'ai appris ce qui est probablement la chose à retenir en termes de musique populaire : ne jamais s'arrêter de chercher.


Au fond, mes préjugés étaient surtout alimentés par ce qui est, de nos jours, les maux modernes du hip-hop US (le rap français, merci, mais ça sera pour plus tard) : la trap music et le mumble rap, ces atrocités sans nom qui passent en rotation lourde sur 95% des chaînes musicales, et il a fallu une solide dose de hip-hop alternatif (mais pas que) pour que je puisse ouvrir les yeux à ce sujet et me rendre compte que oui, le hip-hop n'était pas un genre musical au rabais, loin de là. Et ce grâce à des artistes (que ce soit les anciens ou les nouveaux) comme J. Cole, Death Grips, Jay-Z, Nas, Eminem, Kendrick Lamar, Frank Ocean, Tyler, the Creator... et celui qui est devenu ma récente obsession dans le monde du hip-hop américain.


Introducing our challenger : Kanye Omari West (alias Yeezus (alias Saint Pablo (alias Le Type Qui A Coupé La Parole A Taylor Swift (alias Ye (alias La Voix De Sa Génération (alias Yandhi (alias Ce Gros Trou Du Cul))))))). Qui est aussi la raison de pourquoi je peux pas trop faire la morale sur le fait d'écouter ou non la musique d'artistes étant humainement méprisables. Car oui, tout le monde sait qui est le type et comme il a réussi à devenir un être extrêmement polarisant et controversé depuis ces dernières années, entre soutien à Trump, déclarations sur l'esclavage prouvant qu'il a dormi en cours d'histoire et séjour en hôpital psychiatrique, tout le monde se méfie et/ou se moque. Pourtant, ce serait oublier que West a été, pendant toutes les années 2000 et jusqu'à 2011, considéré comme l'un des plus grands talents de sa génération, comme l'un des meilleurs. Flashback, je vous propose de revenir à la fin des années 90.


A cette époque, West, enfant de la classe moyenne américaine ayant développé depuis l'âge de 5 ans un grand intérêt pour les arts, avait déjà commencé dans la musique comme producteur en réalisant des beats et des mélodies pour des artistes de rap en devenir. Sa réputation grandit et c'est au tout début des années 2000 qu'il entre dans la cour des grands en tant que producteur grâce à une fructueuse alliance avec Jay-Z : ses mélodies figurant notamment sur The Blueprint, en 2001, et The Black Album, en 2003 (les deux étant considérés comme faisant partie des meilleurs albums de Hova), aidèrent West à s'imposer comme un producteur sur lequel il fallait définitivement compter. Pourtant, ce statut ne satisfait pas Kanye. Lui, ce qu'il veut, c'est être considéré comme un rappeur, être sur le devant de la scène. Sauf que comme il ne correspond pas au profil gangsta-rap, celui qui faisait fureur dans le monde du hip-hop à cette époque, personne ne le prend au sérieux à ce sujet.


Déjà, c'est un truc à prendre en compte : le contexte. Aujourd'hui, quand il en a l'occasion, West n'hésite jamais à nous rappeler pour un oui ou pour un non à quel point il est le meilleur artiste du monde, toutes périodes et tous genres confondus et ce sans qu'on lui ait forcément demandé. Mais dans les années 2000, bien que Kanye en voulait, il avait des raisons tangibles d'en vouloir : parce qu'il voulait être considéré comme un vrai rappeur, parce qu'il voulait ne pas être cantonné au simple rôle de producteur-star (de plus, il faut savoir que depuis Illmatic, le culte premier album de Nas, le monde du hip-hop a souvent tendance à enchaîner les producteurs, une grosse chiée d'albums ayant souvent 1 producteur, voire 2, par chanson. Non, pas un pour tout l'album, un pour chaque chanson. Allez comprendre) et parce qu'il voulait proposer autre chose et que ce "autre chose" soit entendu.


C'est finalement en octobre 2002 que sa vie va changer : alors qu'il rentre chez lui en voiture après une session d'enregistrement, Kanye s'endort au volant et sa voiture s'écrase contre une autre voiture. L'accident aurait pu lui coûter la vie, mais il s'en tirera avec la mâchoire bien cassée et l'inspiration qui lui viendra. Deux semaines plus tard, il entre en studio pour enregistrer une chanson traitant de ses pensées et de ce qu'il ressent après cet accident. Cette chanson se nomme Through the Wire et est la pierre fondatrice de son futur premier album, qui sera méticuleusement créé par West durant 2 années avant de sortir en 2004 et de casser la baraque.


Et donc, plus d'une décennie plus tard, que retire-t-on de The College Dropout ? Eh bien, nous avons en face de nous un disque de rap à forte tendance soul remarquablement bien produit, aux mélodies accrocheuses et qui vous restent en tête et aux paroles qui, même si elles ne cassent pas trois pattes à un canard, ont le mérite d'être parfaitement adaptées à cette attitude alternative dans laquelle West se positionne. Mais prenons tout cela piste par piste. Je précise que je ne prends pas les skits en compte, vu que c'est des interludes parlés et pas vraiment de la musique (sauf pour la fin de Graduation Day, sur laquelle je dirai juste qu'en termes de chant et de mélodie, ça pourrait très bien être sur n'importe quel disque de R'n'B mielleux de l'époque que je verrais même pas la différence. Notez que ça veut pas dire que c'est de la merde, après tout, c'est John Legend qui chante, même si je préfère sa voix sans autotune).


La première partie (que je délimite comme allant de Intro à Never Let Me Down) de l'album est excellente, en plus d'être une parfaite introduction à ce qu'était alors le "style Kanye West" en 2004 : c'est-à-dire 100% tourné vers la soul et le funk, des arrangements de cordes fins et délicats, des chœurs gospel en veux-tu en voilà et, surtout, les fameux samples vocaux accélérés qui font que les chanteurs et chanteuses s'étant fait sampler ont des voix de Chipmunks (c'est pas pour rien que les critiques affubleront ce style de "chipmunk soul"). We Don't Care, qui est une fausse apologie de la prise de drogues se voulant clairement comique, est une chanson donnant très clairement envie de danser et/ou de remuer la tête, que ce soit par les claquements de mains, les chœurs d'enfants ou même la voix de West, qui n'est peut-être pas un formidable chanteur mais qui ne fait pas non plus de la merde, loin de là.


All Falls Down, construit sur un sample de guitare acoustique de Mystery of Iniquity, de Lauryn Hill, a l'immense avantage de bénéficier de la voix de la chanteuse Syleena Johnson, ce qui lui apporte une plus-value mélodique supplémentaire, sans compter que la basse et la guitare sont très bien foutues et que le texte, critiquant l'ultra-capitalisme, a le mérite d'être mieux branlé que ce qu'il écrira plus tard sur New Slaves, par exemple (mais ne parlons pas tout de suite de Yeezus, ce serait brûler les étapes ^^). Spaceship, par son instrumentation extrêmement douce et relax (probablement la plus tranquille de l'album), arrive à faire passer son texte (ici, Ye nous raconte qu'il voudrait être dans un vaisseau spatial et partir très loin, surtout très loin de son travail de l'époque, à Gap) à un niveau supérieur, sans compter que les feats de GLC et de Consequence ajoutent, par leurs voix, une dose de classe supplémentaire à ce morceau.


Jesus Walks, par ses chœurs et le mystère qui se dégage de sa mélodie, remporte aussi facilement les suffrages et ce bien que les "Ouhouhou" autotunés à mort qu'on peut entendre ça et là soient un petit peu ridicules et que moi et la chrétienté, merci, mais non merci. Enfin, Never Let Me Down, chanson dans laquelle West parle de son enfance, de sa mère et en profite pour remercier le père (qui venait alors de décéder) de sa petite amie de l'époque, Sumeke Rainey, conclut admirablement cette première partie avec sa guitare rock FM au second plan, son piano des plus délicats, ses chœurs féminins (oui, vous avez remarqué que j'aimais beaucoup les chœurs quand ils étaient bien faits ?) et le couplet lâché par un Jay-Z aux affûts. Le couplet de J. Ivy est exagérément rapide à mon sens et pas en rythme avec la mélodie, mais ça ne m'a personnellement pas gâché mon plaisir durant l'écoute de cette excellente chanson.


En comparaison de cette superbe première partie, la seconde (que je délimite de Get' Em High à School Spirit) fait assez pâle figure. Non pas que les morceaux sont devenus merdiques, ils contiennent toujours pas mal de bonnes idées et les mélodies sont réellement charmantes, mais elles sont moins accrocheuses que les précédentes et on les retient moins, l'exception étant la magnifique Slow Jamz (qui était en fait déjà sortie en 2003 sur l'album Kamikaze, du rappeur Twista), hommage distingué aux plus grandes figures de la soul (Marvin Gaye, Michael Jackson, les Temptations, Earth, Wind & Fire ou encore Luther Vandross, qui est d'ailleurs samplé dans cette chanson) bénéficiant d'une instrumentation montrant toute la sensualité de cette musique, mais aussi de la voix suave et charismatique de Jamie Foxx sur les refrains (en plus, le clip nous montre que ce dernier est probablement un invité super cool dans les soirées, vu qu'on le voit acheter un petit paquet de disques de soul pour les ramener à une soirée où il est invité... trop sympa, le mec).


Mais heureusement, la troisième partie (qui va de Two Words à Last Call) tutoie à nouveau l'excellence musicale et repart sur les chapeaux de roues. Two Words nous montre que West peut créer aisément une mélodie avec une ambiance presque épique, merci à la guitare électrique étouffée, à la batterie n'hésitant pas à s'emballer, aux voix samplées criant presque au loin, aux couplets de Mos Def et Freeway et aux chœurs (à nouveau) de la Boys Choir of Harlem. Through the Wire est un excellent choix de premier single, au rythme à nouveau extrêmement entraînant, Family Business clôt presque l'album sur une note plus apaisée (où West parle une ultime fois de sa famille) avec son piano à nouveau très délicat et Last Call... disons que ça dépend de votre sensibilité, vu que la chanson fait 12 putain de minutes, là, je vous avoue, j'ai pas écouté jusqu'à la fin. Honte à moi, je sais.


Mais voilà, pour ce qui s'agit du tout général, autant ne pas le nier : The College Dropout est un putain de bon disque, entraînant, dansant, mélodieux, accrocheur et annonçant la future explosion du pop-rap, qui n'interviendrait que 2 ans plus tard avec la sortie de... bah, Graduation du même Kanye West. Je brûle encore un peu les étapes. Retenons juste qu'à ce point, Kanye West a gagné son pari : l'album a cassé la baraque, Ye devient une superstar et est enfin pris au sérieux comme rappeur. Et le mieux, quand on se repenche en 2020 sur sa discographie comme je le fais, c'est qu'on sait que l'excellence musicale, à ce stade de la carrière de Kanye, est encore loin de le laisser tomber.


A suivre.

AntoineFontaine
8
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Créée

le 30 avr. 2020

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