"I got mean things all on my mind."
Robert Johnson.
Là, direct, ça intimide.
Forcément que ça intimide, quand on repense à tout ce qui entoure le bluesman, on a de quoi être impressionné, genre "ouah, c'est pas n'importe qui ce gars-là !"
Faut dire qu'il a un sacré CV, le bonhomme. Pas très rempli, certes, mais être quasiment l'inventeur de la musique moderne, ça en impose un peu, quand même. Ça laisse songeur. Sans compter toutes les légendes qui vont avec, le pacte avec le diable et tout ; même de ce côté-là, Bob a été le précurseur de quasiment tous les mythes qui ont entourées Jimi Hendrix et compagnie. Le tout en 29 chansons. Ah ouais, quand même.
Bon, mais justement, la musique dans tout ça ? Fatalement, il n'est pas facile de se débarrasser de tout ce background pour se concentrer uniquement sur elle. Et immédiatement, il vient une question : est-il possible d'apprécier les enregistrements de ce ô combien fameux Johnson, pour ce qu'ils sont, tout simplement, sans prendre un instant en compte l'immense influence qu'ils ont eu ?
Je ne vais pas vous faire attendre, la réponse est oui. Mille fois oui. Alors bon, je promets pas que ce soit le cas de tous, forcément. Mais il y a quelque chose dans son utilisation de la guitare qui frôle le génie. Une sorte de relation passionnelle entre lui et son instrument qui reste, encore aujourd'hui, palpable. Un dépouillement presque total et pourtant la sensation que rien ne manque, que tout est là, parfaitement en place.
Pour autant, je ne mentirais pas : en écoutant cette compilation, j'ai été déçu. Déçu parce que, si je reconnaissais volontiers la superbe des morceaux, je trouvais le tout redondant, et mon attention se délitait au fil de l'écoute. Toutes les chansons possèdent la même intro, sont construits sur le même schéma, reposent sur la même utilisation des cordes basses. Chaque nouvelle piste n'est pas l'occasion d'un renouvellement, mais d'une variation sur une structure identique.
Sauf que.
J'avais commis une erreur.
Une erreur toute bête. Je l'ai comprise un peu plus tard. J'étais en train d'écouter je ne sais plus quel groupe moderne, un truc plutôt bien, hein, voire même très bien ; et puis j'ai décidé de mettre une chanson de ce bon vieux Bob, comme ça, pour voir. Pam. Claque. Dans les dents. En deux accords de guitare, ce bon vieux bob écrasait littéralement ses pauvres descendants. Et l'effet était d'autant plus saisissant que, tac, deux minutes plus tard la chanson était finie.
Partant de là, une idée m'est passée par la tête : celle que, auparavant, le concept d'album n'existait pas. Celle que, auparavant, on chantait les chansons comme elles venaient, selon l'humeur, selon l'envie. Celle que, auparavant, il y avait dans le blues une fraicheur, une simplicité, qui n'existe plus à notre époque et qui s'accorde mal à nos habitudes d'écoutes.
Mon erreur a été d'aborder ces 29 chansons comme un album du XXIe siècle, conçu, pensé en tant qu'album, et qu'il est même souhaitable d'écouter d'une traite. Ces 29 chansons ne sont pas faites pour s'écouter d'une traite. Rien ne vous y empêche, bien sûr ; mais il s'agit, à la base, du répertoire d'un artiste, dans lequel on pioche selon l'inspiration du moment, sans que l'ordre des pistes ne fasse sens. Alors je pioche. Je pioche parce que c'est comme ça que je l'apprécie, ce bon vieux Bob. Je pioche, parce que c'est là, coincé entre deux chansons modernes, que le charme discret et envoutant de son blues se révèle à moi. Je pioche parce que si, je l'avoue volontiers, je me lasse vite à trop forte dose, en revanche, distillées précieusement, ses chansons sont absolument inégalables. Comme quoi, même après plus d'un siècle, la légende reste intacte.