Sainte Harmonie,

L’heure est grave. Laisse-moi te dédier cette subséquente exaltation.

D’aussi longtemps que tu essaimes ta soif de perfection, tu te retrouves fort peu glorifiée par l’exemple. Les maltraitances à ta création sont si nombreuses. Il faut l’avouer, tu n’es pas femme aisée à dompter, et ta subtilité demeure incompréhensible pour beaucoup de dresseurs aveuglés. Sombrement, ces derniers s’amassent par centaines dans l’abyssal charnier de la rusticité cacophonique. Leur pornographie musicale ne semble pourtant pas gêner l’audience massive, cette dernière se complaisant dans l’obscénité qui lui est offerte, gratuitement, du moins ose-t-elle le croire. Lady Gaga, Rihanna, Maroon 5, Muse… Les pornographes répandent leur étouffante balourdise sexuelle où ils le peuvent, dès qu’ils le peuvent. Et la masse de se pourvoir, agonisante, d’une laideur culturelle outrancière. Les Star Academy fleurissent, dissolvent peu à peu tous tes enseignements érotiques, pauvre Mère Harmonie, pour les métamorphoser en immondes trivialités. Mais tu n’y peux rien. Ta vie est ainsi faite qu’elle se voit récompensée de bien plus de déshonneurs que de réelles considérations raffinées.

Reprends-toi. L’heure n’est pas à l’anémie. Si la horde dissonnante n’en finit pas de souiller tes valeurs pures, de solides opposants lui font face dans l’obscurité. Ces héros délicats, je les appelerai « érotiques anonymes ». Te rappelles-tu des temps anciens, Harmonie ? Jadis, les érotiques ne t’aimaient pas dans l’ombre ; ils éclataient brillamment aux yeux de tous, se jouaient de ta chair sans ne jamais l’écorcher. Adulés de tous, les artisans de l’esthétique soignaient leurs offrandes dans une reconnaissance générale n’ayant pas dépéri avec l’âge. Encore aujourd’hui, Beatles, Led Zeppelin, Black Sabbath, Pink Floyd et consorts sont affiliés à du grand Art. Eux avaient compris, Harmonie. Ils avaient compris que tu n’es pas plus asphalteuse qu’eux étaient dépravés. En gentlemen, ils te respectaient, t’adoraient. Et, à travers leur sensibilité, ils t’exposaient au monde. Lequel à l’époque, savait te remercier en faisant de tes apôtres érotiques de véritables héros… Regarde ceux d’aujourd’hui. Une véritable orgie. Cependant…

Déride-toi. L’érotisme n’a pas disparu dans la nébuleuse pornographique actuelle. Il existe, encore de nos jours, de somptueux esthètes à ta gloire. La vilenie du contemporain ne les auréole plus de la célébrité, mais après tout qu’importe. Les érotiques anonymes sont là. Et n’ont, pour certains, rien à envier à leurs prestigieux ancêtres : leur apport à ton œuvre, par le biais d’une maîtrise vocale exceptionnelle, est autant grandiose que leur nombre est restreint. Je pourrais te citer pêle-mêle Steven Wilson (Porcupine Tree), Kristoffer Rygg (Ulver), Vincent Cavanagh & Lee Douglas (Anathema), Mariusz Duda (Riverside), Mikael Akerfedlt (Opeth), ou Anneke Van Giersbergen (ex-The Gathering)… Mais laisse-moi plutôt te raconter Pure Reason Revolution.

Réjouis-toi. Formé à l’université de Westminster à Londres en 2003, puis démantelé en 2011, PRR demeure l’un des plus sensibles témoignages de beauté musicale contemporaine. Ses constructions vocales peuvent aisément être qualifiées d’euphoniques, celles des instrumentations d’intelligentes et créatives. Car derrière l’obscure dénomination de ces troubadours à ta gloire, Harmonie, se cachent une excellence mélodique, une perfection symphonique rares. Le voyage métaphorique insufflé pourrait s’apparenter à la mirifique traversée d’une voie lactée musicale. Au fur de l’écoute, les étoiles sonores, alimentées en lumière par les sérénades de Jon Courtney & Chloe Alper, scintillent d’une beauté durable, mnémonique. Les thèmes, vocaux principalement, jouent d’une sensualité hybride en joignant sans cesse les couleurs féminines et masculines des timbres. Et par cette association androgyne, les chants atteignent des sommets tantôt de puissance, tantôt de douceur. D’un autre côté, à ce génie presque chamanique s’ajoute une grande cohérence dans instrumentations et de la production. Les premières, diverses et sophistiquées, s’allient à la justesse de la seconde. D’une manière plus générale, pour développer ce chef-d’œuvre d’imagination et d’euphonie pop et progressive, les influences invoquées par PRR se situent entre Porcupine Tree, Pink Floyd ou Smashing Pumpkins. A l’instar du premier sus-nommé, la grande force de cet album réside dans les contrastes et l’alternance entre puissance des riffs et douceur des voix. The Dark Third est une perle d’intensité harmonique.

Alors revis, Harmonie. Tes adorateurs ne sont pas morts.
BenoitBayl
10
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le 5 déc. 2013

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