"Sorti en 2006, The Drift est la quintessence même de ce qu’on appelle « une œuvre post 11 septembre ». C’est une musique traumatisée qui fourmille de références historiques indicibles, issue d’un cerveau harcelé par les mauvais rêves. Les douze minutes éprouvantes de Clara sont directement issues des souvenirs d’enfance de Scott Walker. A plusieurs reprises, il a assisté au cinéma à un reportage sur le lynchage et la pendaison du couple Mussolini au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. La peur du gamin est contagieuse quand il évoque :
« His enormous eyes as he arrives / Coming nearer in the surrounding darkness »
« Ses yeux gigantesques qui se rapprochent de plus en plus dans les ténèbres »
C’est cela The Drift. Un foutoir de visions infernales qui ont pour point commun de mettre en scène l’humanité qui se dévore elle-même. Comme devant une télé qui diffuse en boucle l’effondrement des Tours Jumelles, on détourne le regard pour chercher par la fenêtre de quoi apaiser son âme. Mais d’autres horreurs se trament dehors. George Bush Jr. qui bombarde l’Irak pour finir le boulot du paternel. Slobodan Milosevic, l’ancien président yougoslave qui préfère crever plutôt que d’être jugé pour ses crimes de guerre. Et Scott Walker d’ajuster ses idées sonores au niveau des catastrophes. Parfois, on croirait que les démons veulent sortir de leur prison musicale pour s’attaquer directement aux auditeurs. Et pour cela, ils prennent des formes grotesques et terrifiantes. Sur Cue, c’est une section de cordes stridentes d’une violence inouïe qui lacèrent les enceintes. Sur Jolson And Jones, c’est le braiement d’un âne qui vous saisit par surprise. Sur The Escape, c’est la voix d’un Donald Duck possédé, symbole d’une Amérique prédatrice déguisée en personnage Disney. D’autres moments font écho à l’industrie du divertissement de l’Oncle Sam : Elvis qui pleure son jumeau mort-né dans Jesse, ou encore les carcasses de viandes tabassées façon Rocky dans Clara. Faut-il y voir un commentaire sur le rêve américain, ou même sur la condition artistique de l’expatrié Scott Walker ? On peut bien essayer d’analyser The Drift, mais mieux vaut s’abstenir d’affirmer quoi que ce soit. L’album est en tout cas bien dans la continuité de son prédécesseur, sauf que, chose inconcevable, il frappe plus fort encore."
Extrait du podcast Graine de Violence à découvrir ici :
"Scott Walker, la métamorphose du jeune premier"
https://graine-de-violence.lepodcast.fr/scott-walker-la-metamorphose-du-jeune-premier