Des fragments gras et épais sont découpés dans une tourbe condensée. Le sol glutineux, profondément excavé par des outils minces, exhale le fumet attendu. Un tronc noir apparaît. Devenu imputrescible dans sa capsule temporelle, le vaisseau fossilisé perdurera bien encore. Dans son veinage millénaire, l’écho sans fin des temps anciens.
Snow Ghosts est la concrétisation ésotérique d’une collaboration britannique entre la vocaliste Augustus Ghost, le producteur Throwing Snow, et le multi-instrumentiste The Keep. The Fell est leur quatrième album, délivré comme le témoin d’un temps où les humains vivaient à proximité des animaux, au point que leurs caractéristiques muables se confondaient à la tombée du jour, entre chien et loup.
Dans l’intrication des instruments acoustiques et électroniques, la denture proposée prend une forme anthropomorphique, composée comme l’utopie d’un folklore ancien, et recréant avec sincérité l’émotion confidentielle de chants ancestraux qui évoquent notre rapport privilégié avec la nature. Chaque dent vient parfaire l’autre, dans une disposition harmonieuse de canines brillantes, assorties et cohérentes. La mâchoire polymorphe qui se dessine est enlacée entre deux molaires opposées, antinomiques et pourtant bien intriquées : « Given » face à « Taken » - la première étirant les tirades imposantes et funèbres d’un esraj disloqué numériquement, l’autre invitant à l’expérience intime du deuil, dans d’émouvantes itérations solennelles et cristallines.
On s’attarde sur chacun des petits os enchâssés, dans une inspection attentive et anatomique de ce que propose l’assemblage. C’est dans les fracas d’une tempête de fureur que « Cursed » vient évoquer avec une frénésie abrasive le rapport impétueux de femmes métamorphes face à une misogynie nocive et persistante. Délicatement après, les nuages formés sont aussitôt percés par « Buried ». Les cordes dansantes de son dulcimer, associées à la bonhomie communicative d’un tambour bodhràn, viennent panser la forêt ébouriffée. C’est quand la nuit commence à tomber, qu’une couronne d’aubépine est déposée sur notre tête, dans un rituel éponyme nommé « Hawthorn ». La tradition orale de cette parole ancestrale se doit d’être communiquée dans une mélodie bouleversante pour en faciliter son souvenir.
Au fil de la saison qui s’écoule, c’est entre finesse translucide et gravité cabalistique que les modulations synthétiques s’accordent avec les courbures vibratoires d’instruments anciens, achevant la transmutation promise dans les inflexions vocales intemporelles d’une divinité personnifiée.
Chronique parue dans Obscur Vol 1 - suivez le lien et soutenez-nous sur https://www.instagram.com/obscur_mag