Peindre un clair-obscur auditif.
Qu'est-ce qu'un disque ? Des rythmes, des mélodies, des refrains ; le tout enregistré, assemblé, mixé. Mais dans quel but ? La performance technique ? Inutile de nier, ce que nous voulons, c'est être emporté, être touché. Ce que nous voulons, c'est voyager dans le temps, dans notre vie, dans notre imaginaire. Un bon album est un album qui valorise le ressenti, privilégiant les passions à toutes formes d'inertie. The Fool est de ceux-là.
Au sein d'une forêt obscure où les cœurs s'enivrent de mensonges, Warpaint est comme une rivière la traversant. Loin d'être immuable, le courant varie d'un endroit à un autre, pouvant se calmer ou soudainement s'amplifier. Et dans cette rivière, on plonge comme dans un songe pour y faire résonner nos sentiments et nos espérances. C'est dans la partie la plus profonde des eaux que l'on respire paradoxalement le mieux et que nous obéissons alors à d'autres lois que celles de la gravité. L'atmosphère de Warpaint nous submerge au rythme des ondulations de l'eau. Au fil d'une chanson, le paysage se construit et se restructure à mesure qu'on y évolue, dès lors, on ne sait jamais où l'on nous emmène, dans quelle ambiance nous allons plonger à la note suivante. Et c'est bien là, la beauté de la chose. Cette fascinante imprévisibilité.
La ligne de basse de Jenny Lee Lindberg trace un chemin empreint de sensualité auquel se joint la voix d'Emily Kokal mais aussi celle de Theresa Wayman, en parfaite complémentarité. Et on se laisse hypnotiser, on se laisse aller à ce spleen magnifié faisant écho à des souvenirs de natures différentes, liés quelque part à notre insu, à la fois dépareillés et nostalgiques.
Doux et incisif, The Fool compose et décompose les sentiments au fil de ses neuf morceaux, exprimant avec nuance une passion déchue dont nous connaissons tous les mimes. Entre rêveries et réminiscences, ce premier album dessine une mélancolie ciselée en clair-obscur, de celle qui porte le poids du passé, d'une vie qui a éprouvé les cœurs et les âmes, mais aussi une mélancolie comme dépassement de soi.
Au sein de ce joyeux cauchemar, chaque chanson est un baiser ardent sur une peau froide comme la lune créant chacune, dans une volupté irréelle voire onirique, une dérive où l'obscurité rencontre la lumière dans un étrange rendez-vous. Les murmures à l'oreille se transforment en cris au cœur et The Fool est alors comme un miroir irisé où de mystérieux anges apparaissent pour laisser leurs souvenirs s'exhaler parmi les nôtres. Marcher dans une ville qui nous avale. Se sentir comme une ombre, hanté par ses erreurs passées, déraciné, désincarné par les chuchotements d'un autre. D'une tempête naît la plus surréaliste des inspirations.